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« Demain, le travail intellectuel sera majoritaire »

SANS | publié le : 25.02.2003 |

Jamais la part du travail intellectuel dans la production des biens et des services n'a été aussi grande. Maîtriser les conditions de sa performance représente un enjeu majeur pour les entreprises dans les années à venir.

E & C : Quelles sont les caractéristiques du travail intellectuel ?

Xavier Baron : Le travail intellectuel consiste à produire, à partir d'une information, une autre information avec une valeur ajoutée.

Le travail intellectuel débouche sur une production qui est, elle-même, immatérielle. Or, la part de la production immatérielle dans la valeur ajoutée s'accroît de manière spectaculaire partout. Une étude a traité de "la vache immatérielle", montrant que, dans un verre de lait, le coût du lait de la vache est marginal par rapport à toute la production immatérielle nécessaire pour acheminer un lait stérilisé UHT empaqueté dans du carton, marketisé par Candia, diffusé par Auchan, et sorti des pis d'une vache qui est passée par les vétérinaires et la recherche agronomique sur l'amélioration de la race !

De même, dans l'industrie automobile, les coûts d'un programme de nouveaux véhicules se répartissent en 30 % pour l'amont (conception, bureau d'étude) et 30 % pour l'aval (commercialisation), soit de la valeur ajoutée immatérielle. Demain, une part probablement majoritaire du travail sera du travail intellectuel.

E & C : Il est donc stratégique pour les entreprises de maîtriser la productivité et la performance du travail intellectuel ?

X. B. : Absolument, mais, souvent, les entreprises adoptent les réflexes qu'elles ont habituellement face à un problème de productivité. Ces réflexes sont de deux ordres : le libéralisme et la bureaucratie. La solution libérale consiste à assimiler les travailleurs intellectuels à des free lances, à les externaliser pour en faire des contractants commerciaux indépendants. La réponse bureaucratique consiste, elle, à soumettre les travailleurs intellectuels à des procédures, des normes, autant d'éléments d'une mise sous contrainte plus directe.

En fait, la tendance est au réflexe taylorien : on recherche la productivité en séparant la conception de l'exécution. Mais, dans l'entreprise, il est impossible d'appliquer valablement ce schéma à un travailleur intellectuel. Un travailleur intellectuel maîtrise à peine son propre process de production et celui-ci est nécessairement personnalisé. L'organisation du travail intellectuel, au sens taylorien, ça ne marche pas. En revanche, il est possible de réfléchir aux conditions organisationnelles qui permettront sa performance.

E & C : Quelles sont, selon vous, les conditions de la performance du travail intellectuel ?

X. B. : Quatre conditions me paraissent nécessaires : donner du sens, inscrire le travail dans le collectif, concevoir une ergonomie adaptée et mesurer le travail intellectuel.

Donner du sens, car les gens n'ont aucune chance d'être productifs s'ils ne savent pas en quoi ils ont une valeur ajoutée dans ce qu'ils produisent. On voit beaucoup de cadres qui ne savent pas précisément ce qu'on attend d'eux ni comment la valeur est produite. Parmi les pistes à retenir : le renforcement de l'entretien individuel, l'analyse de la performance, la définition d'objectifs, toutes techniques qui étaient souvent rituelles auparavant et qui deviennent beaucoup plus nécessaires aujourd'hui.

La déclinaison des objectifs est un thème à la mode avec la BSC (Balanced score card). L'idée est de donner à chacun une vision claire de ce qu'il a à faire et de ce à quoi il contribue, au-delà de ses propres objectifs. Mais la démarche rencontre énormément de résistances de la part de la hiérarchie.

L'inscription dans le collectif : il n'y a pas de production intellectuelle qui ne soit liée à de l'interaction. C'est toujours dans une relation que se construit le traitement de l'information et que s'opère la transformation d'une information en valeur. La solution organisationnelle qui paraît la plus prometteuse est la structure projet. Elle contient en elle-même la capacité de réguler et d'autoajuster, ce qui n'est pas du tout le contexte taylorien qui, au contraire, exclut l'initiative.

La gestion de projet fait le lien avec l'ergonomie et la notion d'espace. Les projets ont créé les plateaux. Si l'on veut faire coopérer les gens, il faut créer de la solidarité et, pour créer de la solidarité, il faut créer de la proximité. Mais, pour le moment, on ne sait pas encore penser l'espace pour favoriser des collectifs de travail intellectuel.

Mesurer le travail immatériel : l'entreprise ne sait se penser que rationnellement. Or, le mode rationnel n'est valide que s'il est mesuré. On n'optimise que ce que l'on compte. Mais mesurer quoi ? Le temps, le résultat, la valeur, l'effort du salarié ? La mesure de l'activité, par autodéclaration, paraît la plus pertinente, en y affectant, par exemple, des jours dans l'année. Mais cela passe par un effort d'identification de l'activité en la référant tant à sa valeur ajoutée qu'aux sujétions, contraintes et coûts qu'elle représente pour chacun.

Derrière ces pistes, il n'y a pas encore de théorie générale. Le Taylor du travail intellectuel, celui qui pensera les conditions de la productivité du travail intellectuel, n'est probablement pas né !

SES LECTURES

- Le nouveau monde industriel, Pierre Veltz, Gallimard, 2000.

- Du taylorisme au post-taylorisme : poursuivre plusieurs objectifs simultanément, Jean-Louis Peaucelle, Document de l'IAE de Paris, Gregor, 2000.

PARCOURS

Après un parcours de consultant et de responsable RH dans de grandes entreprises, Xavier Baron a été, pendant six ans, directeur d'études à Entreprise & Personnel. Il y a publié plusieurs études, notamment Les conditions de performance du travail intellectuel, paru en 2002, et a participé à l'ouvrage collectif dirigé par Paul Bouffartigue : Cadres, la grande rupture, paru en 2001 à La Découverte.

Il est, aujourd'hui, responsable du département développement des ressources humaines et de la formation de Snecma Moteurs.