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SANS

Spleen l'Ancien

SANS | publié le : 11.02.2003 |

Tout fout le camp ! L'homme est en colère, et tient à le faire savoir. Après plus de trente ans d'un travail acharné, les restructurations, les plans sociaux, les retournements d'alliance, plus rien n'a de secret pour lui. Un DRH de choc, un béret vert de la négociation syndicale, un virtuose de l'accord de branche. J'aime bien ce genre finalement. Désuet, peut-être, mais efficace. En tous cas jusqu'ici. « Et, remarquez-le bien, pas de conflit sérieux. Pas mal, non ? »

J'approuve mollement. L'absence de conflit est quelquefois suspecte, et on se rappelle l'expression « l'ordre règne à Varsovie ». Mais bon, pour l'instant, j'écoute. Il continue.

« Le problème, c'est les jeunes ! (Ah, nous y voilà. Il me semblait bien que quelque chose le chatouillait...). Alors là, je vous assure, les bras m'en tombent ! Plus de goût au travail, plus d'implication personnelle, plus de projet de vie. Je vous assure, il y a un vrai changement dans la relation avec leur job et avec l'entreprise. C'est très inquiétant ! »

Inquiétant ? Pas forcément, à mon avis. Les changements sont des opportunités, et, franchement, on peut comprendre que le rêve stakhanoviste n'attire plus des générations de jeunes souvent plus diplômés que leurs aînés, et en tous cas, plus mobiles dans leur tête, dans leurs goûts, dans leurs rêves, justement. Autant s'y faire tout de suite, puisqu'à la fin de l'histoire, les jeunes remplacent les vieux, et ça fait un moment que ça dure... Mais, là encore, laissons venir.

Monsieur le directeur rajuste ses boutons de manchettes. Avec son costume à fines rayures un peu trop large, son allure générale si soignée, son élocution appliquée, c'est sûr, son côté "Comité des Forges" ne doit pas faire hurler de rire tous les jours. Et son allure coincée tient sûrement plus à ses certitudes qu'à l'amidon de son col de chemise, que son agitation commence à faire bâiller un peu... « Vous savez quoi ? Je pense que c'est un manque d'ambition. Voilà le vrai problème. Plus d'ambition. Nous avons trop gâté la génération qui nous suit. Et... »

Stop. Cette fois, je l'arrête. « C'est vrai, tout change de plus en plus vite. C'est vrai, Internet et la globalisation, comme deux complices hilares, changent les règles de nos vies au travail avant même que nous n'arrivions à les comprendre. Les jeunes sont différents de nous, c'est vrai aussi. Mais je propose de bannir de nos analyses l'expression « manque d'ambition ». A mon avis, elle est fausse. Et méprisante. J'invite à dire plutôt « d'autres ambitions ».

Et bien franchement, de quoi avons-nous le plus besoin pour affronter cet avenir si incertain désormais ? D'ambitieux du modèle déjà éprouvé, excités par l'entreprise comme seul terrain d'épanouissement ?

Ou d'ambitieux d'un modèle nouveau (déjà testés, certes, mais pas encore éprouvés dans la durée...), désireux de répartir leur implication personnelle dans des champs variés, mais capables de s'adapter beaucoup plus vite à des situations changeantes, parce qu'ils ne brisent aucun rêve quand on change de projet ?

Air contrit du DRH. Il détestait les jeunes. Maintenant, il déteste les consultants...