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QUI PAIERA LA FACTURE DE L'AMIANTE ?

SANS | publié le : 11.02.2003 |

Six ans après l'interdiction définitive de l'amiante en France, les entreprises concernées commencent à mesurer le coût de l'indemnisation des victimes de la fibre tueuse. Le véritable risque financier se joue devant les tribunaux. Condamnés pour faute inexcusable et lâchés par leurs assureurs, les employeurs seront certainement de plus en plus nombreux à devoir payer... sans, pour autant, que cela menace leur avenir.

Combien coûtera le dossier de l'amiante ? Les industriels et l'Etat français peinent à estimer la facture. En juin dernier, la FFSA (Fédération française des sociétés d'assurance) évoquait une note de 8 à 10 milliards d'euros pour l'ensemble de la collectivité, dont les assureurs supporteraient moins de la moitié.

Seule certitude : l'addition sera moins élevée qu'aux Etats-Unis où la loi autorise toute personne simplement exposée au risque à entamer une action judiciaire contre son employeur (lire p. 20). Cette disposition multiplie le nombre de plaignants par rapport à des pays comme la France, où le caractère professionnel de la maladie doit, au préalable, être reconnu par l'assurance maladie.

3 000 procédures

Le spectre du dépôt de bilan ne menace donc pas encore les entreprises hexagonales. On estime à 3 000 le nombre de procédures pour faute inexcusable entamées devant les Tass (Tribunaux des affaires de la Sécurité sociale) à l'encontre des anciens producteurs et transformateurs d'amiante, mais aussi gros utilisateurs de la fibre, comme le BTP, les chantiers navals, la sidérurgie ou les équipementiers automobiles.

Dans la plupart des cas, les décisions sont favorables aux victimes et accordent une majoration de la rente versée par la branche AT/MP (accidents du travail et maladies professionnelles) de la Sécurité sociale, financée de manière mutualisée par la totalité des employeurs. La fourchette est large, avec des écarts de un à dix. Le total peut se chiffrer en centaines de milliers d'euros, payés par la Sécurité sociale qui se retourne, ensuite, contre les employeurs.

Mais, pour l'heure, peu d'entreprises ont encore réellement payé. « Dans 90 % des condamnations prononcées à ce jour, les caisses n'ont pas pu récupérer les compléments de rente et les indemnisations, car elles n'avaient pas respecté le caractère nécessairement contradictoire de la procédure de reconnaissance de la maladie professionnelle », indique Me Ledoux, l'un des avocats de l'Andeva (Association nationale de défense des victimes de l'amiante).

Obligation de sécurité

De telles erreurs devraient se raréfier à l'avenir, et les inquiétudes des employeurs grandissent, d'autant plus que la décision de la Cour de cassation du 28 février 2002, qui instaure une obligation de sécurité de résultat de l'employeur en matière de protection des salariés, devrait faciliter la reconnaissance de la faute inexcusable, tant dans les dossiers de l'amiante que pour l'ensemble des AT/MP.

En réaction, les assureurs excluent peu à peu la faute inexcusable de tous les contrats de responsabilité civile et préfèrent proposer une assurance spécifique supplémentaire. De là à refuser de couvrir ce type de risque, il n'y a qu'un pas que des compagnies pourraient envisager de franchir à l'égard de certains assurés.

Provisionner le risque

« Mes clients sont très préoccupés, explique Me Philippe Plichon, du cabinet Plichon & associés, qui défend, notamment, Usinor et Eternit. Plusieurs ont commencé à provisionner le risque amiante pour faire face aux éventuelles condamnations. »

Interrogés, Saint-Gobain - qui a, par ailleurs, passé une provision renouvelable de 100 millions de dollars, dans les comptes 2002, au titre de litiges dus à l'amiante outre-Atlantique -, Usinor, Alstom, Valeo, EDF, DCN ou Wanner Industries refusent de faire des commentaires.

100 000 à 150 000 décès

Une autre incertitude, plus ténue, plane également sur l'évolution future des cotisations des employeurs à la branche AT/MP. L'amiante devrait représenter, en 2003, de 13 % à 15 % du montant total des dépenses de la branche, estimées, pour cette année, à 8,7 milliards d'euros. Une somme qui devrait augmenter ces prochaines années, car, compte tenu de la durée de latence entre l'exposition à l'amiante et l'apparition de la maladie, le pire est à venir. Les études tablent sur 100 000 à 150 000 décès d'ici à 2020. Les entreprises pourraient ne pas avoir fini de payer. Mais les sommes versées ne seront jamais à la hauteur des préjudices subis par les victimes.

Des dangers connus de longue date

1900 : en Grande-Bretagne, identification d'une fibrose pulmonaire liée à l'inhalation de particules d'amiante chez les travailleurs exposés.

1906 : description, en France, des risques de fibrose pulmonaire pour les ouvriers travaillant dans les filatures et tissages d'amiante.

1931 : première réglementation en Grande-Bretagne.

1945 : l'asbestose est reconnue comme maladie professionnelle en France.

1955 : en Grande-Bretagne, confirmation de la relation entre exposition à l'amiante et cancer du poumon.

1965 : publication du premier cas français de mésothéliome.

1977 : une réglementation pour l'exposition professionnelle fixe la limite à 2 fibres par millilitre pour l'air inhalé.

1996 : interdiction de l'amiante en France.

L'essentiel

1 Malgré les condamnations en faute inexcusable et les modifications des contrats proposés par les assureurs, le coût de l'amiante ne menace pas l'équilibre économique et financier des entreprises incriminées.

2 La facture globale de l'amiante s'élèverait à 8 ou 10 milliards d'euros, dont moins de la moitié payée par les assureurs. Certaines entreprises passent des provisions dans leurs comptes pour faire face.

3 La branche AT/MP, financée par tous les employeurs, y compris ceux qui n'ont jamais eu affaire avec l'amiante, acquittera la plus grande partie de la facture. L'impact sur les taux de cotisation des entreprises sera minime.

REPERES

10 000

à 15 000 personnes au minimum pourraient mourir d'une maladie provoquée par l'exposition à l'amiante (mésothéliome ou cancer du poumon), chaque année, en France, entre 2005 et 2010.

100 000

à 150 000 décès pourraient être recensés sur les vingt à vingt-cinq années à venir.

800

mésothéliomes apparaissent chaque année.

1 200

cancers broncho-pulmonaires sont recensés par an.

Source : Inserm.