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"L'Etat a encore un rôle à jouer face aux restructurations"

SANS | publié le : 11.02.2003 |

Bien qu'il n'en ait plus ni la légitimité ni les moyens, l'Etat continue d'être, pour beaucoup, le seul recours face aux restructurations des entreprises. Pour Frédérique Pallez et Franck Aggeri, l'Etat a encore un rôle à jouer et ce rôle est en train de s'inventer sur le terrain.

E & C : L'Etat a-t-il vocation à intervenir dans les restructurations d'entreprises privées ?

Frédérique Pallez et Franck Aggeri : L'interventionnisme public est désormais contesté. La dérégulation et l'ouverture des marchés, les restrictions imposées par Bruxelles, ainsi que le coût exorbitant pour les finances publiques du traitement social des restructurations ont accéléré le désengagement de l'Etat.

Mais le paradoxe, c'est que, dès qu'il y a une restructuration et que les industriels sont défaillants, les salariés et les médias se tournent vers les pouvoirs publics. Le recours à l'Etat continue, donc, d'être légitime pour l'opinion publique et pour les salariés concernés. Il y a un appel à l'Etat au nom de l'ordre public, mais, aussi, au nom de l'équité entre territoires et entreprises, et au nom d'une urgence sociale qu'il est le seul à pouvoir prendre en charge.

Pour notre part, nous pensons que l'Etat a encore un rôle à jouer face aux restructurations, mais dans le cadre d'une action collective avec d'autres acteurs privés et publics, sans avoir de place déterminée.

E & C : Le rôle de l'Etat est donc à réinventer ?

F. P. et F. A. : Aujourd'hui, il n'y a plus de doctrine. Les hauts fonctionnaires se posent beaucoup de questions sur l'attitude à avoir, sur les décisions à prendre. Le moyen de reconstituer une ébauche de doctrine, c'est de s'intéresser à ce qui se passe sur le terrain. Face à cette pression et à l'urgence de certaines situations, on constate que les pouvoirs publics locaux - préfets, sous-préfets, directeurs départementaux du travail, directeurs régionaux de l'industrie - inventent des pratiques. Mais, comme il n'y a pas de capitalisation organisée de celles-ci et qu'on n'arrive pas, pour l'instant, à en extraire cette fameuse doctrine que tout le monde recherche, tout est réinventé à chaque fois et, en tout cas, porté par des individus plutôt que par des principes un peu généraux.

C'est pour tenter de saisir les éléments communs à ces pratiques que nous sommes allés sur le terrain, lorsque les représentants locaux de l'Etat s'emparent avec succès de la problématique.

E & C : Quels enseignements en avez-vous tiré ?

F. P. et F. A. : Nous avons tenté de dégager quelques principes qui permettent de cadrer l'action de l'Etat, mais qui ne donnent absolument pas des recettes. Le premier principe est celui de la responsabilité partagée et étendue. Cela signifie que l'action doit nécessairement être collective. Le problème concerne à la fois les entreprises, les pouvoirs publics, les collectivités territoriales, la société civile, parce que ce qui est en cause est un bien public, la prospérité et la santé sociale du territoire, dont tous ces acteurs ont bénéficié en période favorable : il est normal que cette interdépendance joue aussi en temps de crise.

Deuxième principe : la non-séparabilité. On ne peut limiter le traitement d'une restructuration au seul volet social : donner de l'argent à des salariés alors que la région est complètement sinistrée, c'est résoudre un problème à court terme. La question est, donc, d'impulser une dynamique territoriale pour reconvertir les salariés sur place. Cela implique de s'occuper de choses aussi différentes que les routes, les transports, les écoles, la formation, etc.

Le troisième principe est celui d'une contractualisation négociée et souple : sans en méconnaître l'intérêt, nous réfutons l'idée qu'il suffit d'appliquer les méthodes de gestion de projet industriel (désignation d'un chef de projet, attribution d'un budget, définition d'objectifs, évaluation régulière des résultats obtenus, etc.). La dimension politique de ces situations implique de négocier en permanence les objectifs et les procédures.

Dernier principe : la continuité ; le processus de reclassement des salariés dure, à l'évidence, bien plus de six mois. Pour le développement du territoire, il faut raisonner sur dix à quinze ans. C'est là une question cruciale, compte tenu du turn-over des hauts fonctionnaires.

E & C : L'Etat est-il bien placé pour mettre en oeuvre ces principes ?

F. P. et F. A. : L'Etat a un certain nombre d'avantages dont il peut jouer : sa neutralité, la légitimité que lui reconnaissent la plupart des acteurs, les moyens qu'il a sur un territoire et qui peuvent jouer un rôle d'attracteur pour d'autres financements. Mais il a aussi des faiblesses, notamment la non-valorisation, en termes de carrière, des individus qui ont mené avec succès ces actions collectives territoriales, et l'absence de lieux et de procédures de capitalisation des expériences. Un enjeu important de la modernisation de l'Etat, en France, nous paraît être de reconnaître ces nouveaux rôles et les individus qui les inventent.

LEURS LECTURES

Les vertiges de l'emploi, de Rachel Beaujolin, Grasset, 1999.

Au-delà de l'emploi, d'Alain Supiot, Flammarion, 1999.

Des restructurations et des hommes, sous la direction de Thierry Lemasle et Pierre-Eric Tixier, Dunod, 2000.

PARCOURS

Frédérique Pallez et Franck Aggeri sont, respectivement, professeur et maître-assistant à l'Ecole des mines de Paris et chercheurs au Centre de gestion scientifique de cet établissement. Frédérique Pallez est spécialisée dans les ressources humaines, le management public et l'action publique ; Franck Aggeri dans l'environnement, l'action publique et l'innovation.

Ils ont participé à la Mission Aubert sur les mutations industrielles (voir Entreprise & Carrières n° 652) et publié ensemble Restructurations industrielles - une reconversion aussi pour l'Etat ?, Cahier de recherche du centre de gestion scientifique de l'Ecole des mines de Paris, n° 20, juin 2002.