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Français et Américains au travail : ce qui les sépare

SANS | publié le : 04.02.2003 |

Culture explicite et focalisation sur le process aux Etats-Unis, culture implicite et importance de la relation interpersonnelle en France : un fossé sépare les Français et les Américains au travail. Hiérarchie, objectifs et performance, contractualisation : attention aux contresens et aux incompréhensions...

E & C : Dans votre livre à paraître, Français-Américains : l'autre rive*, vous dressez le constat des profondes différences entre des sociétés et des cultures bien plus éloignées qu'on pourrait le croire...

Pascal Baudry : J'ai pu observer les réactions des dirigeants et managers français que j'ai accompagnés aux Etats-Unis (côte est et Silicon Valley). J'ai moi-même vu mes enfants, nés en France, grandir comme des petits Américains et se comporter différemment de mes attentes culturelles implicites. Dans les deux cas, la surprise signale que le présupposé selon lequel les deux cultures sont proches est faux. Même si leurs produits nous sont familiers, les Américains sont très différents des Français.

E & C : De quelle façon ces différences se traduisent-elles dans les relations de travail ?

P. B. : Elles sont à l'origine de nombreuses incompréhensions et contresens. L'une des erreurs classiques des Français avec des collaborateurs américains est, par exemple, d'énoncer comme des faits ce qui n'est pas avéré. Ou de ne pas prendre en compte la dimension juridique et contractuelle des rapports aux Etats-Unis : tout ce qu'on dit est contractuel, même si ce n'est pas écrit. La culture américaine est explicite, binaire. Une proposition y est vraie ou fausse. Et l'on résoudra l'incertitude ou la complexité en créant des sous-catégories au sein desquelles il est possible de raisonner en proposition vraie ou fausse. A l'inverse, le Français se sent à l'aise dans l'ambiguïté, l'implicite, la nuance. Le mot est différent de la chose, le signifié du signifiant. Ce qui laisse place à l'allusion, la référence partagée, éventuellement à l'hypocrisie. La communication se situe sur le terrain de la relation plus que sur celui du contenu.

Des différences qui se retrouvent dans la culture du travail. Une forte personnalisation chez les Français : règles implicites, profils de poste peu définis (ou dont la définition est peu suivie), objectifs peu précis. Côté américain, une focalisa- tion sur le process, une culture de la tâche. On félicite beaucoup plus facilement un collaborateur aux Etats-Unis, parce qu'on peut aussi le réprimander le lendemain. Ces appréciations se réfèrent à ce qu'il fait, pas à ce qu'il est. Dans la culture du travail française, essentialiste, personnaliste, on félicite très peu pour la même raison, car l'appréciation est, ici, liée à ce que l'on est plus qu'à ce que l'on fait.

E & C : Vous avancez une explication psychanalytique à ces différences...

P. B. : Je pense, en effet, que l'enfance des Américains et des Français, très dissemblable, est structurante. Les jeunes enfants américains sont encouragés très tôt à gagner leur autonomie, à découvrir le monde qui les entoure, sans en craindre les risques. Au contraire, la société française est à la fois très maternante et critique avec les enfants : « Ne t'éloigne pas. Fais attention. » Le Français en gardera, généralement, les inquiétudes suivantes : « Suis-je capable d'être indépendant ? Comment puis-je être différent des autres ? », ce qui peut expliquer sa difficulté à s'inscrire dans une logique de tâche anonymisante, à intégrer un process et, en revanche, sa volonté de signer sa prestation, quitte à commettre des erreurs.

E & C : Vous pointez aussi des différences notables dans la conception de la hiérarchie...

P. B. : Par sa constitution, la civilisation américaine refuse le fait du prince, équilibre les pouvoirs. Cette conception a pénétré le quotidien. C'est une méritocratie horizontale (mais pas égalitaire). L'entreprise rassemble des collaborateurs autour d'une tâche. On n'appartient pas à son patron, la relation est contractuelle. En France, sur le mode féodal, on appartient à son patron, on lui voue fidélité et on en attend protection. Ce qui maintient encore des organigrammes en empilements hiérarchiques et des fonctionnements claniques.

E & C : L'internationalisation des entreprises réduit-elle cette fracture ?

P. B. : Pas toujours. Exemple avec les 360° feedback ou le fridaywear : on a voulu injecter des modes de fonctionnement ou des outils américains dans une culture française très symboliste et implicite. Souvent, on ne s'approprie qu'une apparence de fonctionnement américain. On a immédiatement réinvesti des codes implicites d'appartenance dans le fridaywear. Quant au 360° feedback, il fonctionne mal dans une culture fondée sur la relation. Les Français ont encore du mal à évaluer la performance d'une manière factuelle. Mais dans cette culture liée à l'être et au long terme (mais aussi, parfois, très réactive), plus qu'au faire et au court terme, il est possible de se réapproprier certains dispositifs : par exemple, en introduisant des objectifs qualitatifs dans l'évaluation de performances. De même que certaines grandes entreprises internationales ont créé une culture hybride.

* Français-Américains : l'autre rive. Edition Village Mondial, 192 pages, à paraître le 20 février. Ensuite, il sera téléchargeable gratuitement sur le site <http://www.pbaudry.com>.

SES LECTURES

Madame Bovary. Gustave Flaubert. Gallimard.

Penser d'un dehors (La Chine). François Julien. Le Seuil. 2000.

PARCOURS

Pascal Baudry est président de WDHB consulting group à Berkeley (Californie). Il a organisé 270 learning expeditions aux Etats-Unis, au Canada et en Chine, pour 5 000 cadres dirigeants européens.

Psychanalyste à Paris, puis cadre dirigeant d'American Motors à Detroit et au Canada, avant de fonder WDHB, il est aussi professeur à l'Ecole des ponts et chaussées de Paris.

Pascal Baudry a placé son livre sur le web. Il a été consulté par 35 000 internautes et s'est enrichi grâce aux commentaires de 2 000 d'entre eux.

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