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La responsabilité sociale : un concept à faire vivre

SANS | publié le : 28.01.2003 |

Des chercheurs de l'Université européenne du travail ont analysé les pratiques d'entreprises européennes en matière d'emploi et de sous-traitance à l'aune du concept de "responsabilité sociale des entreprises". Pour Claude-Emmanuel Triomphe, ce concept a un avenir s'il est porté par des forces extérieures à l'entreprise.

E & C : Quel est le contexte et le but de votre étude ?

Claude-Emmanuel Triomphe : Elle nous a été confiée en 2001 par la Fondation de Dublin, agence de l'Union européenne chargée, notamment, de faire des études sur les conditions de vie et de travail. Nous avons voulu savoir ce qui se cachait derrière le concept de responsabilité sociale d'entreprise (RSE). A l'origine, ce concept vient du monde du management anglo-saxon. Littéralement, la "corporate social responsability" (qu'il faudrait d'ailleurs traduire par responsabilité sociétale plutôt que sociale) est un concept exporté par les multinationales américaines. Nous avons voulu voir - et c'est un autre objet de l'étude - s'il rencontrait une certaine adhésion dans les pays européens. Sur ce point, la réponse est oui : la plupart ont une longue tradition de capitalisme social. La RSE n'arrive pas dans un désert.

E & C : Quelles pratiques sociales avez-vous analysées ?

C.-E. T. : Dans les quatre pays étudiés (Allemagne, Royaume-Uni, France et Hongrie), nous sommes allés voir ce que les entreprises faisaient dans deux domaines : l'emploi, et notamment le traitement des difficultés d'emploi, et les conditions de travail dans leurs relations avec les sous-traitants de proximité. Ce dernier point était complètement novateur car, en général, les entreprises voient mal comment introduire une dimension sociale dans une relation commerciale. Or, le problème se pose, aujourd'hui, au regard de la santé et de la sécurité au travail. On a vu, par exemple, que certains sites d'Arcelor ont développé des éléments de politique vis-à-vis de leurs sous-traitants en matière de santé/sécurité.

E & C : Quels constats avez-vous tirés ?

C.-E. T. : Nous avons constaté une grande diversité de pratiques socialement responsables, y compris à l'intérieur de chaque pays. Cela dit, cette diversité renvoie à des niveaux de législation différents. Plus un pays compte de textes de loi et d'accords collectifs, moins, mathématiquement, il y a d'espace pour la responsabilité sociale. Par définition, la responsabilité sociale de l'entreprise consiste à prendre, de manière volontaire, des responsabilités qui vont au-delà de l'application de la loi et des règlements. De ce fait, il y a beaucoup plus d'espace pour la responsabilité sociale en Grande-Bretagne ou en Irlande, où les lois sur le travail sont peu nombreuses, qu'en France et en Allemagne, qui sont des pays beaucoup plus régulés.

Les traitements socialement responsables des restructurations sont présents dans une grande partie des cas étudiés. Visiblement, la RSE peut être une opportunité pour faire mieux et, notamment, trouver d'autres solutions aux restructurations récurrentes que les simples licenciements et plans sociaux. Mais, sur la question de l'emploi, à mon avis, il n'y a pas encore une relation forte entre gestion innovante et gestion mieux adaptée aux défis de l'emploi.

La dimension sociale de la sous-traitance, elle, reste encore largement à venir.

E & C : Quelle est l'attitude des syndicats vis-à-vis de la RSE ?

C.-E. T. : D'une part, ils ne sont pas forcément associés à l'élaboration de ce type de politique, d'autre part, ils me paraissent soit sur la défensive, soit dans l'ignorance. C'est moins le cas des salariés qui siègent dans les instances de l'entreprise, du type CE, et se positionnent plus favorablement. Nous sommes face à un paradoxe : l'acteur syndical a toujours voulu invoquer la responsabilité d'entreprise dans certains domaines. Or, c'est le management qui mène, aujourd'hui, le débat sur un terrain qui est, basiquement, un terrain syndical. C'est le symptôme d'un très grand déséquilibre des forces dans notre société, mais c'est aussi l'opportunité d'un débat et de vraies pratiques construites de manière plus plurielle, voire contradictoire, qu'elles ne le sont actuellement.

E & C : La RSE est-il un concept d'avenir ?

C.-E. T. : Nous sommes à un carrefour. Soit les acteurs de base vont s'en emparer, soit cela restera un concept de l'Europe d'en haut. L'Europe a mis en place un forum multistakeholders ("parties prenantes" internes et externes à l'entreprise) sur la RSE. Mais, à la base, il se passe beaucoup moins de choses. Il faut que les partenaires sociaux, mais aussi les citoyens, s'en emparent. Sinon, ça n'ira pas très loin. La conclusion forte de notre rapport, c'est que, sur les questions du travail, il n'y a pas de dialogue multistakeholders. Le dialogue se fait - ou ne se fait pas - avec les syndicats et les représentants du personnel, mais il ne se fait pas avec d'autres. Il ne se fait pas avec les collectivités locales, les ONG, les consommateurs. Il y a un vrai enjeu d'élargissement du dialogue social à d'autres acteurs que ceux de l'entreprise. Cela reste à inventer et les entreprises ont, sur ce point, une attitude extrêmement prudente.

SES LECTURES

#bull; Le nouvel esprit du capitalisme, Eve Chiapello, Luc Boltanski, Gallimard, 1999.

#bull; La société en réseaux, Manuel Castells, Fayard, 1998.

#bull; Critique du droit du travail, Alain Supiot, PUF, coll. Quadrige, 2002.

PARCOURS

La responsabilité sociale :

un concept à faire vivre

Des chercheurs de l'Université européenne du travail ont analysé les pratiques d'entreprises européennes en matière d'emploi et de sous-traitance à l'aune du concept de "responsabilité sociale des entreprises". Pour Claude-Emmanuel Triomphe, ce concept a un avenir s'il est porté par des forces extérieures à l'entreprise.

E & C : Quel est le contexte et le but de votre étude ?

Claude-Emmanuel Triomphe : Elle nous a été confiée en 2001 par la Fondation de Dublin, agence de l'Union européenne chargée, notamment, de faire des études sur les conditions de vie et de travail. Nous avons voulu savoir ce qui se cachait derrière le concept de responsabilité sociale d'entreprise (RSE). A l'origine, ce concept vient du monde du management anglo-saxon. Littéralement, la "corporate social responsability" (qu'il faudrait d'ailleurs traduire par responsabilité sociétale plutôt que sociale) est un concept exporté par les multinationales américaines. Nous avons voulu voir - et c'est un autre objet de l'étude - s'il rencontrait une certaine adhésion dans les pays européens. Sur ce point, la réponse est oui : la plupart ont une longue tradition de capitalisme social. La RSE n'arrive pas dans un désert.

E & C : Quelles pratiques sociales avez-vous analysées ?

C.-E. T. : Dans les quatre pays étudiés (Allemagne, Royaume-Uni, France et Hongrie), nous sommes allés voir ce que les entreprises faisaient dans deux domaines : l'emploi, et notamment le traitement des difficultés d'emploi, et les conditions de travail dans leurs relations avec les sous-traitants de proximité. Ce dernier point était complètement novateur car, en général, les entreprises voient mal comment introduire une dimension sociale dans une relation commerciale. Or, le problème se pose, aujourd'hui, au regard de la santé et de la sécurité au travail. On a vu, par exemple, que certains sites d'Arcelor ont développé des éléments de politique vis-à-vis de leurs sous-traitants en matière de santé/sécurité.

E & C : Quels constats avez-vous tirés ?

C.-E. T. : Nous avons constaté une grande diversité de pratiques socialement responsables, y compris à l'intérieur de chaque pays. Cela dit, cette diversité renvoie à des niveaux de législation différents. Plus un pays compte de textes de loi et d'accords collectifs, moins, mathématiquement, il y a d'espace pour la responsabilité sociale. Par définition, la responsabilité sociale de l'entreprise consiste à prendre, de manière volontaire, des responsabilités qui vont au-delà de l'application de la loi et des règlements. De ce fait, il y a beaucoup plus d'espace pour la responsabilité sociale en Grande-Bretagne ou en Irlande, où les lois sur le travail sont peu nombreuses, qu'en France et en Allemagne, qui sont des pays beaucoup plus régulés.

Les traitements socialement responsables des restructurations sont présents dans une grande partie des cas étudiés. Visiblement, la RSE peut être une opportunité pour faire mieux et, notamment, trouver d'autres solutions aux restructurations récurrentes que les simples licenciements et plans sociaux. Mais, sur la question de l'emploi, à mon avis, il n'y a pas encore une relation forte entre gestion innovante et gestion mieux adaptée aux défis de l'emploi.

La dimension sociale de la sous-traitance, elle, reste encore largement à venir.

E & C : Quelle est l'attitude des syndicats vis-à-vis de la RSE ?

C.-E. T. : D'une part, ils ne sont pas forcément associés à l'élaboration de ce type de politique, d'autre part, ils me paraissent soit sur la défensive, soit dans l'ignorance. C'est moins le cas des salariés qui siègent dans les instances de l'entreprise, du type CE, et se positionnent plus favorablement. Nous sommes face à un paradoxe : l'acteur syndical a toujours voulu invoquer la responsabilité d'entreprise dans certains domaines. Or, c'est le management qui mène, aujourd'hui, le débat sur un terrain qui est, basiquement, un terrain syndical. C'est le symptôme d'un très grand déséquilibre des forces dans notre société, mais c'est aussi l'opportunité d'un débat et de vraies pratiques construites de manière plus plurielle, voire contradictoire, qu'elles ne le sont actuellement.

E & C : La RSE est-il un concept d'avenir ?

C.-E. T. : Nous sommes à un carrefour. Soit les acteurs de base vont s'en emparer, soit cela restera un concept de l'Europe d'en haut. L'Europe a mis en place un forum multistakeholders ("parties prenantes" internes et externes à l'entreprise) sur la RSE. Mais, à la base, il se passe beaucoup moins de choses. Il faut que les partenaires sociaux, mais aussi les citoyens, s'en emparent. Sinon, ça n'ira pas très loin. La conclusion forte de notre rapport, c'est que, sur les questions du travail, il n'y a pas de dialogue multistakeholders. Le dialogue se fait - ou ne se fait pas - avec les syndicats et les représentants du personnel, mais il ne se fait pas avec d'autres. Il ne se fait pas avec les collectivités locales, les ONG, les consommateurs. Il y a un vrai enjeu d'élargissement du dialogue social à d'autres acteurs que ceux de l'entreprise. Cela reste à inventer et les entreprises ont, sur ce point, une attitude extrêmement prudente.

Propos recueillis par Violette Queuniet Inspecteur du travail, puis directeur adjoint à la direction régionale du travail et de l'emploi d'Ile-de-France, Claude-Emmanuel Triomphe a créé, en 1997, l'Université européenne du travail (UET).

La synthèse du rapport sur la responsabilité sociale des entreprises, à laquelle il a participé, a été publiée dans les n° 65 et n° 66 de Liaisons sociales Europe (octobre 2002).#bull; Le nouvel esprit du capitalisme, Eve Chiapello, Luc Boltanski, Gallimard, 1999.

#bull; La société en réseaux, Manuel Castells, Fayard, 1998.

#bull; Critique du droit du travail, Alain Supiot, PUF, coll. Quadrige, 2002.