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LE SALARIAT SANS FILET

SANS | publié le : 07.01.2003 |

La recherche de flexibilité, le développement du management par projet, les politiques d'externalisation... placent un nombre croissant d'actifs à la limite du travail salarié et du statut d'indépendant. Chercheurs, économistes, juristes et syndicats tentent de trouver des solutions alternatives. Avec, pour objectif, la sécurité juridique et sociale de ces travailleurs d'un autre type.

Intérim, portage salarial, CDD... Avec le retour de la crise, les emplois atypiques connaissent un regain d'intérêt. Le travail temporaire ne cesse de progresser et investit même, depuis quelques années, le marché de l'emploi des cadres. Plus récemment, les sociétés de portage salarial, apparues au début des années 80 aux Etats-Unis, en Allemagne et en Hollande, ont fait leur apparition en France. Le temps partagé, ou le multisalariat, a aussi ses adeptes et recueille les faveurs des petites entreprises en quête d'expertise.

Mais si ces formes d'emploi gagnent du terrain, l'insécurité juridique reste totale. Le Code du travail et les conventions collectives n'ont pas suivi l'évolution de ces nouvelles pratiques. La protection sociale est minimale. Seul l'intérim a fait quelques avancées, en assurant protection sociale, formation et validation des acquis, grâce à l'existence de deux guichets uniques, le Fonds d'action pour la formation (FAFTT) et le Fonds d'action sociale (FASTT). Mais l'accès aux prêts immobiliers, par exemple, pose toujours problème.

Les risques du système

Le système du salariat ne laisse-t-il pas sur la touche un nombre croissant de personnes ? Le salarié "porté", par exemple, doit donner 10 % à 15 % de sa rémunération pour bénéficier d'une couverture sociale. Et que se passe-t-il en cas d'impayés ? La plupart des sociétés de portage attendent l'encaissement de la facture avant de régler les salaires. En outre, enchaîner les CDD de mois en mois est à la limite de la légalité. Une requalification en CDI est alors probable.

Pour le temps partagé, plusieurs obstacles juridiques guettent les adeptes du multisalariat. Au titre des mauvais points, les cotisations sociales arrivent en première position. Un cadre travaillant pour plusieurs employeurs cotise autant de fois sur le plafond de la Sécurité sociale. Mais le montant de son salaire ne lui permet pas de cotiser sur les tranches B et C. Idem pour les caisses de retraite complémentaire. Et que dire des formateurs et des pigistes dont on se sépare quand on n'en a plus besoin ?

Vers toujours plus de flexibilité

L'évolution du management des entreprises favorise de tels phénomènes. La recherche de flexibilité, le développement du travail par projets et les politiques d'externalisation ont conduit les DRH à confier à l'extérieur toutes les activités qui ne relèvent pas du coeur de métier de l'entreprise.

Solutions alternatives

Chercheurs, économistes, juristes et syndicats réfléchissent, dès lors, sur le sujet et tentent d'apporter des solutions alternatives. La question de fond touche, évidemment, la pertinence du Code du travail et la reconnaissance de ces salariés d'un autre type.

Trop rigide pour répondre à la diversité des situations, la législation française met à l'écart un nombre croissant d'actifs qui se situent à la frontière du travail salarié et du statut d'indépendant. Un espace intermédiaire, matérialisé par un degré d'autonomie et une certaine indépendance dans l'exercice professionnel.

Pionnier dans la démarche, Jean Boissonnat a ouvert la voie, en 1995. Dans un rapport, Le travail dans vingt ans, l'auteur préconisait de substituer au contrat de travail un "contrat d'activité" qui lierait le salarié à une entreprise, un groupe d'entreprises ou une institution consulaire, pour des périodes alternant activité productrice et formation. L'objectif étant de garantir cette fameuse employabilité des salariés.

"Droits de tirage sociaux"

Alain Supiot, professeur à l'université de Nantes, a, ensuite, élaboré des concepts complémentaires, comme ceux de "droits de tirage sociaux", qui permettraient au travailleur d'acquérir des crédits formation, des crédits temps libre et autres, sur lesquels il pourrait "tirer" dans des conditions précises. Ces droits seraient financés par une provision alimentée par les entreprises, l'Etat et la Sécurité sociale.

Puis ce fut le tour de Frédéric Tiberghien, ex-conseiller technique auprès du ministre des Affaires sociales (entre 1982 et 1986) et ex-président de VédiorBis, qui s'est prononcé pour le "portage des droits salariaux" pour mettre fin aux discriminations en créant d'autres normes sociales à côté du CDI.

Couverture sociale

Concrètement, il s'agirait d'une couverture maladie, avec une même caisse de Sécurité sociale, qui suivrait l'actif sur l'ensemble de son parcours professionnel et le ferait bénéficier d'indemnités maladie, de congé maternité ou d'adoption et de garanties en matière de décès (1).

Côté syndical, l'idée fait aussi son chemin. La CGT milite pour un nouveau statut du travail salarié visant à sécuriser les parcours professionnels, en termes de rémunération, de retraite, de protection sociale, quels que soient les aléas de sa carrière (chômage...).

Evolution de la réglementation

La CFDT ne dit pas autre chose en se prononçant pour une évolution de la réglementation, assurant une protection sociale équivalente à celle du salarié. Quant à la CFTC, la logique est aussi sur les rails.

Reste à convaincre le gouvernement. Ce sera peut-être chose faite en juin 2003. C'est, en effet, à cette date que le Conseil économique et social devra remettre au Premier ministre un rapport sur la revalorisation du travail. Son rapporteur, Bernard Viviers, vice-président de la CFTC, s'est promis de se pencher sur ces formes de travail atypiques. Il devrait plancher, notamment, sur les rapports Boissonnat et Supiot. Réponse dans six mois.

(1) Pour aller plus loin, voir Entreprise & Carrières n°631/632.

L'essentiel

1 Temps partagé, portage salarial, intermittents... Si ces formes d'emploi se développent, l'insécurité juridique reste totale. Au titre des mauvais points : la protection sociale, la formation et la retraite complémentaire.

2 Plusieurs organisations, chercheurs, économistes, juristes, syndicats réfléchissent sur le sujet. La question de fond touche, évidemment, la pertinence du Code du travail et la reconnaissance de ces salariés d'un autre type. Ils militent pour la création de normes sociales à côté du CDI.

3 Le Conseil économique et social réfléchit actuellement à ces nouvelles formes d'activité à travers un rapport sur la valorisation du travail, commandité par le Premier ministre.

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