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Penser l'emploi dans l'Europe élargie

SANS | publié le : 10.12.2002 |

La Communauté européenne s'est dotée, par étape, d'un ensemble de dispositifs de coordination en matière d'emploi. Bien qu'encore imparfaitement articulés, ceux-ci devront faire face au risque de dumping social dans une Europe élargie.

E & C : Peut-on, d'ores et déjà, parler d'une politique de l'emploi commune aux Quinze, et, a fortiori, d'une politique sociale européenne ?

Jacques Freyssinet : La construction européenne s'est réalisée selon une logique de coupure entre l'économique et le social. Les responsables politiques ont favorisé l'économie, faisant le pari que le "reste suivrait". L'hypothèse de départ étant que la croissance économique bénéficierait à tous et résoudrait, du même coup, les problèmes sociaux. Mais l'admission du Portugal, de l'Irlande, de la Grèce ou encore de l'Espagne au sein de la CEE a sensiblement modifié cette orientation, les niveaux de vie étant très différents de ceux des pays du Nord. C'est à ce moment-là que ce sont développés les fonds sociaux. Mais il s'agissait d'une aide ciblée par branche ou par région. La récession économique des années passées et le taux de chômage ont contraint, ensuite, les responsables européens à changer de priorité et à construire un discours positif sur l'emploi. A partir du moment où l'emploi est devenu une priorité communautaire, la coupure entre social et économique n'existait plus. Cette évolution, qui date du traité d'Amsterdam, en juin 1997, a été confirmée lors de la réunion extraordinaire du Conseil européen sur l'emploi de Luxembourg, en novembre 1997. Au sommet de Lisbonne (mars 2000), un nouveau pas est franchi avec l'adoption de la "Méthode ouverte de coordination" (Moc). Inspirée par l'expérience de la stratégie européenne pour l'emploi, elle repose sur une coordination volontaire des politiques nationales, en particulier dans le domaine de la politique sociale. Les deux premiers chantiers ouverts (retraite, lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale) impliquent des connexions directes avec la politique de l'emploi.

E & C : Quelles seront les conséquences d'un élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux pays ?

J. F. : En théorie, un pays qui adhère à l'Union doit répondre à l'acquis communautaire. Mais, en pratique, les pays candidats ont, pour le moment, un niveau social très bas, un faible degré de relations industrielles et peu de négociations collectives. Le risque de dumping social existerait en l'absence de politique européenne coordonnée ; en effet, ces pays offrent un réservoir de main-d'oeuvre qualifiée à bas salaires. Certains craignent des flux migratoires massifs. Contrairement aux prédictions, l'entrée de la Grèce, puis de l'Espagne et du Portugal, n'avait pas engendré de tels mouvements. La perspective la plus probable est une immigration sélective pratiquée par les entreprises occidentales, accélérant la "fuite des cerveaux" dans les pays adhérents.

E & C : Quelles sont, pour l'heure, les tendances convergentes ? Dans l'étude Retournement conjoncturel et emploi (1), portant sur huit pays européens, présentée en septembre dernier, vous parliez de « la fin des illusions ». Est-ce le dénominateur commun aux Quinze ?

J. F. : Le retournement de la conjoncture en Europe, depuis 2000, a mis fin aux illusions de la "nouvelle économie" et du retour au plein emploi. Le sommet de Barcelone (mars 2002) a été marqué par le retour d'une pure logique d'équilibre budgétaire. Dans l'ensemble des pays, la dégradation de la conjoncture a entraîné une relance ou un durcissement des priorités affirmées au début des années 90, qui ont tourné autour de trois axes : la modération salariale, qui trouve un écho surtout dans les pays comme l'Irlande, les Pays-Bas et la Suède, la flexibilisation du marché du travail (Espagne, Italie) et la lutte contre la "désincitation au travail", en particulier au Royaume-Uni, en Espagne, aux Pays-Bas et en Allemagne.

E & C : Les politiques européennes de l'emploi sont-elles à court d'imagination ?

J. F. : Les années 90 ont été des années de grande innovation, mais tardivement, pour faire face à la récession. En revanche, la crise actuelle n'a pas entraîné de mesures nouvelles. Quoi qu'il en soit, les politiques de l'emploi n'ont qu'un faible effet quantitatif autonome sur le niveau de l'emploi. L'efficacité des dispositifs emploi est fonction de la conjoncture économique. Toutefois, on voit bien qu'il est nécessaire de développer toute une série d'actions pour endiguer le chômage qui touche près de 5 millions de personnes en France : formation tout au long de sa vie (reconnaissance des acquis professionnels), transférabilité des acquis et des compétences, activation des dépenses pour l'emploi...

(1) Chronique internationale de l'Ires, Retournement conjoncturel et emploi, septembre 2002.

SES LECTURES

#bull; Les marchés du travail en Europe, Ires, La Découverte, Collections "Repères", 2000.

#bull; Politique salariale dans la zone euro, Philippe Pochet (dir.), P.I.E.-Peter Lang, Bruxelles, 2002.

#bull; Mutations du marché du travail et protection sociale dans une perspective internationale, Hedva Sarfati et Giuliano Bonoli, Peter Lang, Bruxelles, 2002.

PARCOURS

Docteur en sciences économiques, Jacques Freyssinet est professeur émérite de sciences économiques à l'université de Paris-1.

Il a été directeur de l'Ires (Institut de recherches économiques et sociales) jusqu'au 31 août 2002.

Il a été, notamment, membre du conseil d'analyse économique, directeur de l'Institut des sciences sociales du travail ou encore président du Conseil d'administration de l'ANPE.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l'emploi, le chômage, les métiers, les qualifications...

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