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SANS

Les cages de La Balue

SANS | publié le : 03.12.2002 |

Tout beau, tout neuf. Le nouveau DRH de ce groupe de services est plein d'enthousiasme, quelques mois seulement après sa nomination à ce poste attendu si longtemps.

L'homme est chaleureux, optimiste, cultivé. Il paraît qu'il est aussi un fin connaisseur du droit social, et un virtuose de la négociation. Enfin, comble de bonheur, il connaît très bien le business, comme on dit ici, ayant assumé jusque-là des responsabilités opérationnelles.

Toutes ces qualités pour un même homme, personnellement, j'aurais tendance à trouver cela un peu suspect... mais ce n'est pas une attitude mentale efficace pour commencer une collaboration.

Pour l'instant, donc, j'écoute.

La conversation porte sur les "définitions de fonction", ces espèces de carnets de route dont la mise au point initiale, comme l'actualisation, sont un véritable casse-tête.

« Vous comprenez, je souhaite tout prévoir. Cette entreprise recèle une variété extraordinaire de spécialités techniques très pointues. Les mettre en oeuvre en même temps suppose de régler la marche générale comme une partition. A chacun sa mission. Très précise. Très détaillée. D'accord, et encore, pour une interprétation dans chaque service. Pas d'accord pour une improvisation partout. Vous voyez ce que je veux dire ? »

Oh oui, je vois bien.

Cette attitude de défiance est très courante, qui consiste d'abord à éviter toute dérive dans la prise en charge d'une mission, en dessinant un cadre le plus précis possible, et en fixant la liste exhaustive des tâches à prendre en charge. Pour être encore plus sûr, on veille, en général, à bien stipuler, comme une chose essentielle, à qui "reporte", le bénéficiaire de ladite définition de fonction. Et pour finir, quelques indications sur la fréquence et les paramètres de contrôle, et le tour est joué.

« C'est exactement ça ! », s'enthousiasme mon interlocuteur, tout ragaillardi à l'idée de boucler le chantier des "définitions de fonction" rapidement, avec un complice qui partage la même expérience et la même ambition.

« Non, ce n'est pas ça du tout ! », suis-je obligé de reprendre.

Tête ahurie du client, qui se demande si je plaisante. Mais je ne plaisante pas.

« Votre approche est celle d'un enfermement des compétences au lieu d'être celle de leur meilleure utilisation. Vous vous souvenez du cardinal La Balue, proche de Louis XI, inventeur des cages qui portent son nom ? Impossible de s'y asseoir. Impossible non plus de s'y tenir debout. Un supplice cruel et efficace. Votre vision des missions est en réalité la même : impossible de remplir toutes les obligations de la fonction, parce qu'elles sont multiples. Mais impossible de s'en tenir à celles qui sont énoncées, parce qu'il en manque forcément. Dans tous les cas, on est en tort ! ».

Air vexé du client. Je l'entends qui bougonne une question du genre « Bon, alors, qu'est-ce qu'on fait ? ».

« On construit sur l'intelligence et sur la confiance. Sur l'intelligence, en décrivant surtout les enjeux, les objectifs et les contraintes d'une mission. Et en laissant chacun faire l'inventaire des moyens à mettre en oeuvre. Sur la confiance, en se rappelant l'essentiel : « L'absence de confiance transforme les tâtonnements en échecs ».