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L'entreprise ne veut plus trinquer

SANS | publié le : 26.11.2002 |

La lutte contre l'alcoolisme en milieu professionnel n'est pas chose courante, d'autant que le Code du travail se révèle inadapté. Mais la loi sur la prévention des risques et la jurisprudence devraient conduire les entreprises à inaugurer des dispositifs de prévention.

L'alcoolisme en entreprise reste difficile à cerner. Aujourd'hui, environ un quart des salariés présenterait, ainsi, un comportement à risque face à l'alcool, entraînant de nombreuses répercussions en termes d'absentéisme, d'accidents du travail, de malfa- çons ou de productivité. Selon l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme (Anpa), la consommation d'alcool serait, ainsi, à l'origine de près de 20 % des accidents du travail, dont peuvent également êtres victimes les non-alcooliques.

Une loi répressive

Malgré ces chiffres alarmants, une grande majorité des entreprises continuent de fermer les yeux. Il est vrai que la législation, pour le moins évasive, ne les incite guère à prendre les mesures qui s'imposent. Que dit la loi ? Essentiellement répressif, l'article L 232-2 du Code du travail interdit l'introduction et la distribution dans l'entreprise de boisson alcoolisée autre que le vin, la bière et le cidre. Le même article précise que l'entreprise ne peut laisser entrer ou séjourner les personnes en état d'ivresse.

Culture d'entreprise

Une prohibition aussi délicate à honorer qu'incomplète : il n'est donné nulle part de définition comportementale de l'état d'alcoolisme aiguë (ivresse), et l'alcoolisme chronique (consommation régulière) est proprement ignoré. Deux arrêts du Conseil d'Etat, de 1980 et de 1987, limitent, en outre, l'utilisation de l'éthylotest, ce qui ne facilite pas le dépistage. En fait, comme dans d'autres domaines, c'est au règlement intérieur de délimiter le cadre de la consommation d'alcool dans l'entreprise. Dès lors, on comprend que certaines cultures d'entreprise, imprégnées de repas d'affaires et de "pots" bien arrosés aient habilement "oublié" de mentionner la question dans ledit règlement et continuent de mener une politique de l'autruche. « Tant qu'il n'y a pas de problèmes notoires, on camoufle l'alcoolique, on éponge ses erreurs, on ferme les yeux sur ses dégâts, résume Patrick Buchard, du cabinet d'alcoologie Hassé Consultants. Jusqu'au drame, qui oblige alors l'entreprise à prendre des mesures qui paraissent d'autant plus coercitives que l'alcoolique a, généralement, bénéficié d'une longue période d'indulgence. »

Politique de lutte

Des entreprises se sont pourtant donné la peine de mener une politique de lutte contre l'alcoolisme. Dès le milieu des années 80, par exemple, le sidérurgiste Sollac, à Dunkerque, finançait, ainsi, chaque année, à hauteur de 28 500 euros, une structure interne chargée de la prévention contre l'alcoolisme pour ses 4 000 salariés. Après avoir pris soin de modifier son règlement intérieur pour préciser la conduite à tenir en cas d'ivresse et les conditions et modalités d'utilisation de l'éthylotest, ainsi que les postes concernés.

Médecine du travail

A partir de 2003, la médecine du travail apportera sa contribution au dépistage précoce de l'alcoolisme, puisque la prochaine "conférence de consensus de recommandations pour la pratique clinique" (une instance composée de psychologues, travailleurs sociaux, médecins..., se réunissant annuellement), devrait inciter les médecins à demander systématiquement, à chaque salarié, de déclarer sa consommation d'alcool dans le cadre de la visite médicale annuelle.

Mais c'est sans doute l'évolution de la législation et de la jurisprudence qui obligera l'ensemble des entreprises à adopter des mesures de prévention. Car, depuis l'entrée en vigueur du décret d'application du 5 novembre 2001, de la loi du 31 décembre 1991 sur l'évaluation et la prévention des risques dans l'entreprise, le "risque alcool" doit désormais être identifié, au moins pour certains postes.

Deux jugements

Surtout, deux jugements récents ont permis de mieux cerner les responsabilités. En mai dernier, la chambre sociale de la Cour de cassation de Paris estimait qu'un alcootest (dont la procédure d'utilisation est inscrite au règlement intérieur) positif constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement, dans la mesure où l'ébriété était de nature à mettre en danger les personnes et les biens de l'entreprise. Un jugement d'autant plus important qu'il contredit ceux émis en 1re et 27e instances, et casse un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, datant de 1990. Par ailleurs, en octobre dernier, le tribunal de Nevers condamnait un secrétaire de comité d'entreprise ayant laissé partir d'un "pot" un salarié en état d'ébriété au volant d'une voiture de la société, qui allait causer un accident de la route mortel.

Une action trop tardive

Pour les observateurs de la prévention des risques liés à l'alcoolisation excessive au travail, ces considérations sur la responsabilité des uns et des autres en la matière sont une bonne chose. En particulier pour la médecine du travail, placée en première ligne.

« Nous sommes trop peu sollicités, actuellement, par les entreprises. Donc le dépistage est tardif, lorsque l'entreprise doit faire face à une alcoolisation aiguë et qu'elle ne sait plus quoi faire..., témoigne Damien Duquesne, médecin du travail à Lille et spécialiste en alcoologie. L'entreprise doit se donner les moyens d'agir en définissant les critères de diagnostic de l'ivresse dans son règlement intérieur ; surtout pour favoriser une bonne gestion de ces situations à risques par l'encadrement. Le plus simple opérant serait, peut-être, d'établir un taux d'alcoolémie maximal au poste de travail. On disposerait alors d'un outil clair et précis pour faire de la prévention. »

L'essentiel

1 Environ un quart des salariés présenteraient un comportement à risque face à l'alcool. Et sa consommation abusive serait à l'origine de 20 % des accidents du travail.

2 Malgré ces constats, la majorité des entreprises ferment les yeux. Le Code du travail, trop évasif dans ce domaine, les laisse libres d'inscrire ou pas un chapitre sur ce risque dans leur règlement intérieur.

3 Les dispositifs de prévention et les prises en charge sont souvent mis en place trop tardivement. Mais l'évolution de la législation sur la prévention des risques et des jurisprudences récentes devraient inciter les entreprises à adopter de nouvelles mesures.