logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

SANS

« Aménager les temps pour plus de justice sociale »

SANS | publié le : 19.11.2002 |

La ville de Poitiers a été l'une des premières villes de France à mettre en place une agence des temps. Objectif : réfléchir à l'harmonisation des temps sociaux. Depuis deux ans, des innovations améliorent, notamment, la vie des salariés avec enfants.

E & C : Pourquoi avoir créé une agence des temps ?

Catherine Coutelle : Nous avons, au sein de la communauté d'agglomération, un service de recherche et développement qui nous a proposé ce dossier. Nous avons aussi accepté d'être un territoire expérimental pour la Datar, qui travaille sur ce sujet.

La question de l'harmonisation des temps sociaux renvoie à un souci de justice sociale : si nous n'y prenons pas garde, la société aura des temporalités différentes ; d'une part, ceux qui peuvent s'offrir des services de garde d'enfants, de livraison à domicile ; de l'autre, ceux - et notamment les femmes seules - qui, disposant de faibles ressources, rencontrent d'énormes difficultés dans leur vie quotidienne : une société à deux vitesses.

E & C : Comment fonctionne l'agence des temps et quelles sont ses réalisations ?

C. C. : L'agence des temps n'est pas un lieu physique. Il s'agit d'une politique des temps que nous mettons en oeuvre sur toute l'agglomération, dans trois directions : diagnostic, discussion, innovation.

Le diagnostic consiste en la réalisation d'enquêtes menées, ou non, à notre initiative. Souvent, nous essayons d'être la mouche du coche en nous associant à d'autres enquêtes. Par exemple, nous avons demandé, dans une enquête sur les crèches, d'interroger des personnes qui ne mettent pas leurs enfants en crèche pour des questions d'horaires.

Nous avons mis en place un forum de discussion, "les mardis du temps". Tous les deux mois, environ, un débat a lieu, avec un intervenant extérieur, sur des thèmes comme les 35 heures, le temps des pères, le temps de la nuit, le temps des adolescents, la garde des enfants...

Pour discuter en amont des innovations, un comité consultatif du temps se réunit régulièrement avec une quarantaine de partenaires, dont la CCI, les représentants des taxis, les syndicats, les associations de quartier.

Les premières innovations datent de 2001. Depuis la rentrée universitaire, sur le campus, le début des cours s'étalent de 7 h 45 à 8 h 30, pour éviter les bus bondés et les embouteillages. Avant, tous les cours commençaient à 8 heures. Pour la rentrée scolaire, nous avons mis en place des guichets uniques ouverts de 17 heures à 20 heures. Ils permettent aux parents d'acheter, au même endroit, les cartes de bus, de cantine, d'inscrire leur enfant au conservatoire, dans une association sportive, etc.

Nous avons commencé à travailler sur l'ouverture des services publics. Nous avons mis en ligne, sur le site de la mairie, tous les horaires des services publics. Par ailleurs, nous sommes en discussion avec les syndicats des personnels de la mairie pour une ouverture des services entre 12 h 30 et 13 h 30 au centre-ville et en soirée dans les quartiers. Cela a de bonnes chances d'aboutir.

E & C : Les entreprises sont-elles intéressées par cette politique des temps ?

C. C. : Elles sont peu demandeuses, bien que la question du temps représente, pour elles, un souci en arrière-plan. Les entreprises dans la zone du Futuroscope (à 17 km de Poitiers) demandent toutes, lors d'un recrutement, si le candidat a un moyen de transport et, quand il s'agit d'une femme, si elle a résolu la question de la garde de ses enfants. Nous avons, d'ailleurs, commencé à faire une enquête auprès de ces entreprises sur ce thème.

Pour mieux associer le monde économique, nous allons essayer de mettre en place des tables quadrangulaires, comme cela se fait déjà en Italie, rassemblant patrons, syndicats, collectivité et usagers. Sur ce sujet, rien ne peut se faire sans la négociation.

E & C : Le souci d'aménager les temps ne conduit-il pas à plus de flexibilité ?

C. C. : C'est, en effet, une critique qu'on nous adresse, mais elle n'est pas fondée. Certes, nous constatons une évolution des temps sociaux et nous menons une action sur le temps, mais cela doit rester encadré. Il faut réfléchir à cette question : "Qui impose son temps à l'autre ?". Nous avons allongé les horaires d'ouverture d'une crèche, mais en demandant qu'un enfant ne reste pas plus de dix heures d'affilée. Par ailleurs, nous ne sommes pas du tout partisans de l'ouverture des magasins le dimanche, à Poitiers. Nous pensons qu'il ne faut pas dégrader le travail des uns pour simplifier la vie des autres.

SES LECTURES

- Le temps des femmes, Dominique Méda, Champs-Flammarion, 2001.

- Le temps des villes : pour une concordance des temps dans la cité, rapport de Jean-Paul Bailly au Conseil économique et social, Ed. des Journaux officiels, 2002.

- L'aire du temps, sous la direction de Francis Godard, Pierre Dommergues et Jean-Yves Boulin, éditions de l'Aube (à paraître en décembre 2002).