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Hibernatus

SANS | publié le : 05.11.2002 |

« Irréprochable. » Depuis plus de vingt ans, en fait presque vingt-cinq, Monsieur le Directeur a conduit l'établissement dont il a la charge dans le respect des consignes qui lui ont été données au départ. Sans incident, sans heurt (« Des heurts ? Alors ça, jamais ! »), sans improvisation.

Mais les temps changent. Son organisme de tutelle semble redécouvrir tout récemment qu'il subventionne cet établissement depuis de longues années, sans jamais rien exiger en contrepartie qu'un contrôle annuel (toujours « irréprochable ») et un projet soumis chaque automne au conseil d'administration.

Au fil du temps, Monsieur le Directeur, un peu étonné au départ de tant de liberté, s'est bien habitué à jouer son rôle de baronnet loin des yeux de la cour. Son souci d'être toujours "irréprochable" l'a mis à l'abri de tous désagréments et, progressivement, de toute possibilité de contester localement son pouvoir, ses projets, et ses méthodes.

Nous sommes en automne. C'est le moment du cérémonial annuel d'allégeance, du projet en dix exemplaires reliés, de la note de synthèse budgétaire, et des commentaires sur les demandes d'investissement.

Monsieur le Directeur est serein. Avec une gestion aussi "irréprochable", et autant d'expérience accumulée, que pourrait-il craindre ? Pourquoi ces Messieurs du conseil voudraient-ils contester sa gestion "irréprochable" ? Pourquoi changer, puisque tout fonctionne si bien ?

L'automne, c'est le temps des bourrasques. Monsieur le Directeur est pris sous un feu croisé de questions et de critiques. Une embuscade. Un traquenard. Un complot. Une révolte. Pire, une révolution !

Cibles essentielles des tirs ? Son immobilisme. Le ronron de sa gestion. Le lent sommeil de ses équipes. Le ringardisme total de ses méthodes. Et j'en passe.

Monsieur le Directeur est anéanti. Défait. Au bord des larmes. Evacuation d'urgence.

Le conseil se réjouit : « Cette fois, on le tient, Hibernatus ! »

On s'offusque de mes réticences. Je m'explique : « Trop facile de critiquer l'immobilisme d'autrui. Vous êtes ses premiers complices. Vous laissez faire depuis vingt ans. Qui est le plus responsable ? Ceux qui laissent les autres s'endormir sans les alerter des dangers qui les menacent, ou celui qui s'assoupit dans l'ouate des certitudes qu'il croit cautionnées, faute d'être contestées ?