logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

SANS

L'apprentissage pour recruter les futurs cadres

SANS | publié le : 15.10.2002 |

L'ouverture croissante de l'apprentissage aux formations supérieures est révélatrice de la multiplication des modes d'insertion professionnelle des jeunes cadres dans l'entreprise. Pour Frédéric Sauvage, l'apprentissage introduit l'idée d'une acclimatation progressive dans une organisation.

E & C : De quand date l'essor de l'apprentissage en matière d'enseignement supérieur ?

Frédéric Sauvage : Traditionnellement, l'apprentissage était un mode de formation réservé aux entreprises artisanales ou du BTP, dans la lignée des corporations de métiers. A cause, notamment, de la volonté typiquement française de "scolariser" la formation, de la confier à l'Education nationale plutôt que de l'inféoder aux entreprises. Au cours des années 80, marquées par la montée des valeurs liées à la performance et à l'efficacité, les entreprises ont gagné une légitimité sociale. En même temps, ces années "Tapie" sont celles de la forte montée du chômage des jeunes. Fin 2000, près de 430 000 jeunes suivent une formation en alternance (dont 383 000 en apprentissage), contre 220 000 dix ans auparavant. Dans ce contexte, les entreprises sont revenues sur le devant de la scène dans la problématique de l'apprentissage. La loi Seguin de 1987 et les dispositions prises par Edith Cresson, en 1992, qui faisaient suite au rapport Decomps, ont accéléré le mouvement.

Soutenu par cette volonté politique d'ouverture, l'apprentissage a, peu à peu, débordé de ses espaces traditionnels pour investir de nouveaux secteurs d'activité, gagner les grandes entreprises et concerner les jeunes qui ne sont pas en échec scolaire. Dès 1994, l'Essec et l'IAE de Lille ont proposé une filière de ce type ; le Ciffop pratique l'apprentissage depuis 1998. Et, aujourd'hui, certaines écoles, comme l'ESC de Saint-Etienne ou de Pau, ont fait de l'apprentissage leur modèle de formation.

E & C : En quoi l'introduction de l'apprentissage chez les futurs cadres modifie-t-elle la gestion des ressources humaines dans les entreprises ?

F. S. : L'ouverture de l'apprentissage à cette population a modifié en profondeur le schéma classique du recrutement (identification d'un besoin, définition du poste, sélection d'un candidat et intégration dans l'entreprise). En effet, à côté des opérations classiques de dotation reposant sur le modèle d'une "adéquation a priori", entre les caractéristiques d'un poste et les compétences supposées d'un jeune, semble se développer une logique d'appariement. Cette tendance est d'ailleurs illustrée par l'explosion des stages, des CDD et des contrats en alternance, qui prouve combien les entreprises souhaitent gagner en souplesse et en flexibilité, tout en minimisant les risques. Le recours croissant à ce type de contrats atypiques témoigne de l'émergence de pratiques nouvelles en matière de recrutement des cadres.

Certes, le nombre de cadres ainsi capté reste confidentiel : les apprentis de l'enseignement supérieur représentent une population d'un peu plus de 40 000 jeunes (un tiers d'entre eux préparent un bac +2, un quart un bac + 3, le reste des bac + 4 et +5). Mais l'intensité de l'usage de tels dispositifs retient l'attention. Aujourd'hui, on peut clairement dire que l'apprentissage est devenu un levier pour recruter et former des cadres.

E & C : Quels sont les enjeux de cette période d'appariement ?

F. S. : L'apprentissage repose sur une notion de "fiançailles" qui précèdent un engagement définitif, où chacune des deux parties "s'apprend" mutuellement. Avec ce dispositif, l'entreprise dispose d'un outil de gestion RH souple. D'une part, l'apprentissage permet de bénéficier d'une force de travail à moindre coût. D'autre part, il offre un moyen de recruter des potentiels et de former des compétences au travers d'une période probatoire. L'apprentissage permet donc de mettre en oeuvre une double flexibilité, à la fois qualitative et quantitative.

Mais face à la difficulté de faire interagir le système éducatif et le système productif, l'apprentissage est, de plus en plus souvent, "instrumentalisé" par l'entreprise en fonction des objectifs, selon qu'il s'agit de bénéficier d'une main-d'oeuvre à coût réduit (logique opportuniste), d'entretenir une pépinière de talents disponibles en cas de besoin (logique sélective), ou de construire un partenariat actif avec le centre de formation (logique intégrative). Même si la loi impose un cadre légal, on constate que les entreprises font en sorte de peser sur les processus de production et d'évaluation des compétences des jeunes, pour que celles-ci collent au mieux avec leurs pratiques. Les banques et la grande distribution sont, d'ailleurs, deux secteurs qui ont bien compris les bénéfices qu'ils pouvaient tirer de ce dispositif, et ils considèrent aujourd'hui l'apprentissage comme une véritable filière de recrutement. En établissant des partenariats étroits avec les CFA, ils se construisent une visibilité vis-à-vis d'une autre catégorie de candidats.

SES LECTURES

Les rémunérations, politiques et pratiques pour les années 2000, J.-M. Peretti, P. Roussel (sous la coord.), Vuibert, 2000.

L'ère de l'information, M. Castells, Fayard, 1998, 1999, 2001 (3 tomes).

Le nouvel esprit du capitalisme, L. Boltanski, E. Chiapello, Gallimard, 1999.

PARCOURS

A 32 ans, Frédéric Sauvage est maître de conférences à l'IAE de l'université de Lille-1. L'insertion organisationnelle des futurs cadres par l'apprentissage, sa thèse de doctorat en sciences de gestion, menée sous la direction de Pierre Louart, a reçu, en juin 2001, le prix de la Fondation nationale pour l'enseignement de la gestion en entreprise (Fnege).

Spécialisé sur les questions des politiques de recrutement et la gestion des compétences, il est également cofondateur, avec F. Geuze et K. Mignonac, du site Internet http://www.e-rh.org