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CE QUI VA CHANGER

SANS | publié le : 08.10.2002 |

Sans remettre en cause la durée légale du temps de travail à 35 heures, le projet de loi de François Fillon, actuellement discuté à l'Assemblée nationale, apporte plusieurs retouches aux lois Aubry. Loin des joutes parlementaires et de la grogne syndicale, les entreprises font leurs comptes. Il y aura des gagnantes mais aussi des perdantes.

Adieu les lois Aubry ! Le Conseil des ministres a adopté, le 18 septembre, le projet de loi sur l'assouplissement des 35 heures présenté par le ministre des Affaires sociales, François Fillon. Objectif : « Dynamiser le marché du travail en offrant davantage de liberté aux entreprises et aux salariés. » Conforme aux engagements pris par Jacques Chirac pendant sa campagne présidentielle, le projet de loi "relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi" autorise, désormais, les entreprises à recourir davantage aux heures supplémentaires et entend permettre, ainsi, aux salariés qui le souhaitent, de « travailler plus et de gagner plus ». Un décret, à paraître à la mi-octobre, portera de 130 à 180 heures le contingent annuel d'heures supplémentaires. Ce décret transitoire, pris pour une durée de dix-huit mois, sera réexaminé le 1er juillet 2004, après avis de la Commission nationale de la négociation collective et du Conseil économique et social, au vu du résultat des négociations dans les branches, mises ainsi "au pied du mur". Les heures supplémentaires au-delà de 35 heures seront majorées de 10 % dans les entreprises de moins de 20 salariés, jusqu'au 31 décembre 2005. Le taux de majoration sera de 25 % dans les entreprises de plus de 20 salariés.

Harmonisation des Smic

Deuxième grande mesure du projet Fillon, l'harmonisation des Smic remédie à un effet pervers des lois sur les 35 heures : la multiplication des garanties mensuelles pour les 2 millions de salariés payés au salaire minimum. Le texte prévoit une convergence des six niveaux de Smic, avec une harmonisation totale au 1er juillet 2005. Concrètement, les smicards travaillant 35 heures bénéficieront d'un coup de pouce de 11,4 % sur trois ans.

Afin de compenser le coût de cette mesure pour les entreprises, le gouvernement a prévu un mécanisme d'allègement des charges sociales. Le texte fusionne les mécanismes mis en place par les gouvernements Juppé et Jospin, en prévoyant des allègements dégressifs jusqu'à 1,7 fois le salaire minimum, au lieu de 1,3 Smic pour les allègements actuels. Voilà pour le cadre légal.

Correction de trajectoire

« D'ici à la fin de cette année, nous aurons corrigé quelques-unes des fautes les plus graves commises par le gouvernement précédent », a déclaré François Fillon devant le Conseil des ministres. De fait, le projet de loi s'inspire, d'après son auteur, « assez largement de ce qui avait été conclu dans les branches et les entreprises, entre 1998 et 2000, et dont le gouvernement précédent n'avait pas voulu tenir compte, estimant, sans doute, être plus qualifié en la matière que les acteurs sociaux ». On se souvient, en effet, de l'accord de la métallurgie mis à l'index par Martine Aubry.

Assouplissement ou démantèlement ? François Fillon jure que son texte ne « constitue pas un retour en arrière, mais une avancée ». Cependant, à y regarder de plus près, il ne satisfait ni les syndicats, ni le patronat, et encore moins l'opposition, bien décidée à batailler au Parlement, où le texte est discuté depuis le 2 octobre. « Nous allons déposer 45 amendements sur les 35 heures », a indiqué Maxime Gremetz, le député PCF, au cours de l'audition de François Fillon par la commission des affaires sociales de l'Assemblée.

« Rien de bon »

Les syndicats ont des mots tout aussi durs. Le projet de loi Fillon ne propose « rien de bon pour les salariés, a estimé la CGT. Il est tout bénéfice pour les employeurs ». Même inquiétude à la CFE-CGC, qui a dénoncé la « discrimination insupportable entre les salariés des entreprises de moins de 20 personnes et les autres », en matière de durée du travail.

Pour la CFDT, « on va assister à un vrai marché de dupes sur les heures supplémentaires ». Même le Medef se plaint de la réforme du Smic...

L'heure des comptes

Sur le terrain, loin des joutes parlementaires et de la grogne syndicale, les entreprises font leurs comptes. Sont-elles gagnantes ? Sont-elles perdantes ? Difficile, pour l'heure, d'avoir une idée précise de la situation. Les réactions varient d'une entreprise à l'autre, d'un secteur à l'autre, en fonction de sa taille, du recours aux heures supplémentaires, du nombre de smicards ou de son activité. Ayant limité les dégâts de la loi Aubry grâce à l'annualisation du temps de travail, la modération salariale et les allègements de charges, toutes, en tout cas, ne veulent pas remettre en cause un équilibre déjà précaire.

Chez Mondial Assistance, par exemple, « pas question de revenir en arrière ». Et si le contingent est fixé à 90 heures par an et par salarié, dans les faits, la moyenne se limite uniquement à 2 heures par an... Chez PSA non plus, la DRH ne voit pas la nécessité de « renégocier sur la base de ce nouveau contingent, tout simplement parce que l'accord UIMM prévoit déjà 150 heures en cas d'annualisation ». Chez Toyota, un accord a même renchéri l'"heure sup" à 50 % (voir encadré p. 23).

Suppression de l'aide "structurelle"

La refonte des allègements de charges et la suppression de l'aide "structurelle" (636 euros par an et par salarié) semblent pourtant un vrai sujet d'inquiétude. « Pour certaines entreprises, cela représente entre 4 et 19 milliards d'euros d'allègements de perdus, indique Karine Boullier, directrice d'études à Entreprise & Personnel. Les grandes entreprises seront fortement touchées. » L'allongement des heures supplémentaires n'est pas forcément perçu comme une contrepartie. « On nous a imposé les 35 heures payées 39. Aujourd'hui, on nous prépare les 39 heures payées 44 », indique François Pénard, directeur des affaires sociales à la Fédération du textile.

Par ailleurs, l'assouplissement du recours au forfait jours ne va pas aussi loin que de nombreuses entreprises l'espéraient. Le projet, en continuant à le réserver aux cadres "autonomes", ne sécurise pas juridiquement ce dispositif, déjà source de multiples contentieux qui peuvent mener jusqu'au pénal. Et ne prend pas en compte les itinérants non cadres, pour lesquels seuls un décompte du temps de travail en heures est permis.

Système à deux vitesses

Le traitement de faveur réservé aux petites entreprises (majoration de 10 % pour les heures supplémentaires) est également apprécié à divers degrés. Car ces dispositions comportent plusieurs risques, le plus évident étant celui d'être écarté de la RTT et de créer un système à deux vitesses. Une situation dénoncée par la Capeb (Confédération des petites entreprises du bâtiment) qui craint de perdre ses atouts face aux importants besoins de recrutement (175 000 salariés font actuellement défaut).

Autre sujet plus ou moins explosif : le recours massif aux heures supplémentaires pourrait peut-être permettre aux perdants des lois Aubry - les ouvriers et les employés qui avaient parfois perdu en pouvoir d'achat - d'améliorer leurs fins de mois (à condition que les branches ne négocient pas leur majoration à la baisse). Mais, dans un même temps, ce dispositif pourrait avoir un effet dissuasif sur les créations d'emploi alors que le chômage reprend une courbe ascendante.

Bref, la nouvelle bataille des 35 heures promet de nouveaux casse-tête aux DRH. Et rapidement. Car, selon le calendrier parlementaire, c'est dès le 29 octobre que le texte pourrait être adopté définitivement au Sénat (le 10 octobre à l'Assemblée). A moins qu'entre-temps, il ne subisse quelques amendements...

L'essentiel

1 S'il ne satisfait ni le patronat, ni les syndicats, le projet Fillon sur les 35 heures ne remet pas, fondamentalement en cause la réduction du temps de travail.

2 L'essentiel des assouplissements ne seront, en effet, applicables que sous réserve de négociations de branche, voire d'entreprise. Et les partenaires sociaux ne sont pas toujours, loin de là, prêts à rouvrir un débat qui s'était souvent révélé conflictuel.

3 Même les entreprises de moins de 20 salariés encore à 39 heures, grandes gagnantes du projet de réforme, n'y trouvent finalement qu'un sursis de trois ans. Tandis que la pression du marché du travail devrait les conduire, malgré tout, à s'aligner sur les conditions de travail offertes par les plus grandes.