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L'utilisation d'Internet au travail exige des règles claires

SANS | publié le : 17.09.2002 |

A l'occasion de la sortie du rapport du Forum des droits sur l'Internet consacré à l'utilisation des NTIC au travail, Isabelle Falque-Pierrotin estime qu'il est urgent de définir des règles claires, équilibrées et acceptées par tous.

E & C : Quelles sont les principales conclusions de votre rapport Relations du travail et Internet ?

Isabelle Falque-Pierrotin. : Précisons que ce document n'a aucun pouvoir contraignant. Cela dit, il est très attendu, notamment par le ministère des Affaires sociales et du Travail, qui entend l'utiliser dans le cadre d'une concertation qu'il mènera tout prochainement avec les partenaires sociaux. Il servira également de base de travail et d'instrument de réflexion dans les entreprises. L'utilisation d'Internet taraude, en effet, aussi bien les employeurs que les partenaires sociaux, lesquels sont en quête de repères. Ce qui est frappant, c'est le relatif consensus qui se dégage autour de l'utilisation individuelle de l'Internet au bureau. Chacun admet qu'il est aujourd'hui difficile d'interdire aux salariés de surfer à des fins personnelles. Tout est question de dosage et de modération. A ce titre, nous recommandons la rédaction de chartes figurant dans les règlements intérieurs des entreprises. Ainsi, les règles du jeu seront transparentes et respectées.

Il faut également reconnaître une sphère personnelle aux salariés. La jurisprudence de la Cour de cassation a longtemps été interprétée comme très favorable aux salariés. Les exigences de l'employeur ont, depuis, été prises en compte. De sorte qu'il s'agit aujourd'hui de rechercher un équilibre. Le principe de base repose sur la confidentialité des messages. Pour que celle-ci soit garantie, nous recommandons aux salariés de distinguer ce qui relève du privé et ce qui reste du professionnel, afin que les mails puissent être protégés par le secret des correspondances. Cette démarche vise à responsabiliser le salarié, et contribue à faire d'Internet un espace de confiance. Bien évidemment, nous souhaitons faire valider par la loi le rôle de l'administrateur de réseau, en lui reconnaissant un secret professionnel.

E & C : Que préconisez-vous en matière d'utilisation d'Internet par les partenaires sociaux ?

I. F.-P. : Sur ce sujet, les acteurs ne sont pas aussi sereins. L'interactivité effraie, par exemple, les employeurs. L'ouverture des NTIC aux syndicats et institutions représentatives du personnel découle pourtant du bon sens. Mais, cela doit passer par des accords, puisque le Code du travail n'est pas clair en la matière. Le temps des discussions byzantines est révolu. Il faut passer à la vitesse supérieure car ces outils touchent concrètement la vie de l'entreprise, de ses salariés et ont un rôle à jouer dans la modernisation du dialogue social.

E & C : Comment les NTIC vont-elles influencer l'organisation du travail ?

I. F.-P. : Je me refuse à faire de la politique fiction. Une chose est certaine pourtant : les entreprises s'orientent de plus en plus vers la production d'un capital intellectuel. Le travail va s'organiser autour d'une logique de mobilisation des compétences. Le salarié gagnera en autonomie, et sera de moins en moins enfermé dans une organisation pyramidale. Revers de la médaille : l'employeur attendra de lui davantage d'implication et une obligation de résultats. Le développement de cette autonomie pose la question du maintien du salariat. En effet, ces personnes évoluent à la frontière de l'indépendance et du salariat. Pour certains experts, cette zone grise, qu'ils ont baptisée la « parasubordination », devrait faire l'objet d'une catégorie juridique à part entière. A l'opposé, d'autres estiment que le salariat est suffisamment souple pour couvrir ce type de relations professionnelles. Ces questions dépassent le simple cadre des NTIC. Elles doivent être débattues au sein du Commissariat général au Plan ou du Conseil économique et social. Autre tendance lourde : les entreprises bâtissent des organisations en réseau. Elles tendent à accepter un modèle décentralisé supporté par des centres de profit.

E & C : Préconisez-vous le droit à la déconnexion ?

I. F.-P. : L'entreprise est devenue poreuse. L'interpénétration entre vie professionnelle et vie privée concerne aujourd'hui principalement les cadres. Mais, demain, d'autres catégories peuvent être concernées. Certains dénoncent cette évolution et la qualifient de « laisse électronique ». Dans ces conditions, le droit à la déconnexion est une revendication forte et légitime mais, il est plus un "mot d'ordre", un appel, qu'une mesure législative nouvelle. Appliquons déjà le Code du travail qui prévoit un repos journalier de 11 heures consécutives et ouvrons les discussions sur ce point au sein des entreprises.

E & C : A quand l'avènement du cyber salarié ?

I. F.-P. : Mais le cyber salarié existe déjà. Reste que l'entreprise est, avant tout, une communauté humaine. Les sociétés commencent à se rendre compte qu'elles devront, à l'avenir, fournir des efforts considérables pour la préserver.

SES LECTURES

La fête au bouc, Vargas llosa, Gallimard, 2002.

L'adieu au corps, David Le Breton, Edition Métailé, 1999.

Le Grand Meaulnes, Alain Fournier, Le livre de Poche, 1971.

PARCOURS

Isabelle Falque-Pierrotin est diplômée d'HEC, de l'ENA et de l'Institut Multi-médias.

Conseillère d'État, elle est présidente du Forum des droits sur l'Internet, association créée en 2001 sous l'égide des pouvoirs publics, ayant pour vocation d'informer le grand public sur les enjeux d'Internet et d'organiser la concertation entre acteurs publics et privés.

Elle a été, de 1997 à 1998, le rapporteur général du rapport du Conseil d'État Internet et les réseaux numériques.