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LES DEFIS DE L'AGE

SANS | publié le : 17.09.2002 |

Un salarié qui avance en âge n'est-il plus bon à rien ? Nombreux sont les employeurs qui adoptent une attitude fataliste face au vieillissement. Certes, le phénomène peut s'accompagner d'un déclin des performances. Mais son évolution reste modérée si l'entreprise cherche à adapter les conditions et l'organisation du travail.

Dans leurs représentations du vieillissement, les employeurs associent généralement l'avancée en âge avec une recrudescence des problèmes de santé, une moindre force physique, une souplesse articulaire affaiblie, un ralentissement des gestes, une difficulté à assurer le niveau de qualité requis et une réticence au changement. Le vieillissement est donc souvent considéré comme un facteur de fragilité qui menace la productivité d'une entreprise. De là à conclure que les plus de 50 ans n'y ont plus leur place, il n'y a qu'un pas que les spécialistes des seniors au travail refusent de franchir.

« Bien sûr, l'état de santé des salariés, leurs capacités physiques, leur rapidité d'action et de décision garantissent l'efficacité des systèmes de production des entreprises. Mais l'âge, en tant que tel, ne signifie rien, affirme Dominique Thierry, délégué général de l'association Développement & Emploi qui, depuis quinze ans, anime une réflexion sur "Age et travail". Il ne s'agit que d'une représentation symbolique qui fait qu'en France, on considère les salariés comme âgés dès lors qu'ils dépassent la cinquantaine et approchent l'âge légal de la retraite. En fait, l'existence et l'ampleur des problèmes liés au vieillissement dépendent largement des conditions et de l'organisation du travail. »

Caractéristiques du travail

Toutes les analyses des contextes dans lesquels apparaissent des phénomènes de sélection par l'âge révèlent le rôle de certaines caractéristiques du travail. « Les horaires décalés, de type 3x8 ou 2x8, les contraintes de temps dans les travaux répétitifs ou à cycles courts, les cadences imposées par la machine, les contraintes posturales, qui mettent à rude épreuve le corps, constituent des exigences de moins en moins supportables au fur et à mesure que l'on vieillit, analyse Serge Volkoff, directeur du Centre de recherche et d'études sur l'âge et les populations au travail (Creapt). De même, les tâches peu stimulantes ou la nécessité de changer rapidement de poste de travail, selon les besoins de l'entreprise, constituent une source d'astreinte, y compris, parfois, pour les plus jeunes. Les phénomènes liés à l'âge ne sont que les révélateurs de ces conditions et de ces organisations de travail pénibles. »

Amélioration des conditions de travail et gestion des âges sont donc étroitement liées. Certains employeurs l'ont compris, qui apportent des modifications ergonomiques au poste.

Objectifs prioritaires

Chez Renault, qui compte un salarié sur trois âgé de plus de 50 ans et un sur deux de plus de 45 ans, la diminution de la pénibilité des postes figure parmi les objectifs prioritaires du groupe depuis de nombreuses années. « Nous cherchons à réduire les efforts des salariés en agissant sur le port de charge, par exemple en automatisant certaines tâches, et sur les postures, notamment avec l'installation de ligne de montage à hauteur variable, explique Jean-Jacques Ferchal, chef du département conditions de travail. Nous avons, par ailleurs, élaboré, avec les médecins et les ingénieurs conditions de travail, une méthode d'analyse ergonomique des postes de travail, permettant de coter de 1 à 5 les postes en fonction de leur pénibilité. Les contrain- tes physiques et également cognitives sont analysées. Notre objectif est de supprimer les postes cotés 5. » Un bémol tout de même : « Sous couvert d'ergonomie, qui apporte effectivement des améliorations, la direction en profite pour augmenter les cadences », dénonce Pierre Bernardini, animateur du collectif des CHSCT de Renault.

Autres pistes

D'autres pistes, encore largement négligées en France, peuvent également être explorées : suppression des horaires décalés et du travail posté de nuit après 50 ans, aménagement du temps de travail, introduction du temps partiel, redistribution des tâches au sein d'une équipe... Airbus France, avec une moyenne d'âge de 40 ans, a recours, en partie, à cette dernière méthode.

Analyses ergonomiques

« Sur les postes les plus pénibles, c'est-à-dire au montage des sous-ensembles, sur la chaîne finale et à la peinture, les chefs d'équipe ont pour consigne d'accroître le rythme de rotation des tâches, afin qu'un salarié plus âgé n'occupe pas trop longtemps un poste pénible », précise le DRH Alain Vaissière. Des analyses ergonomiques sont également menées en amont, dès la phase de conception des postes de travail et des outillages.

Mais encore rares sont les entreprises qui engagent de telles réflexions sur le sujet. « Il faut distinguer deux catégories d'employeurs, estime Marion Gilles, chargée de mission au département organisation et temps de travail de l'Anact (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail). Les premiers ne vivent pas encore l'âge de leurs salariés comme un problème, à peine connaissent-ils quelques difficultés de reclassement de salariés plus âgés. Ils commencent seulement à s'interroger sur les conséquences de l'âge sur leur activité. Les seconds sont, eux, au pied du mur. Ils sont confrontés au vieillissement massif de leur personnel, alors qu'ils peuvent de moins en moins recourir aux diverses mesures de cessation anticipée d'activité et que le débat sur un éventuel allongement de la durée du travail fait rage. »

Des PME peu curieuses

Dans les PME, le problème est également souvent ignoré. Il y a deux ans, à la demande de son conseil d'orientation, l'Aract Nord-Pas-de-Calais a mené une étude sur les représentations et les modes de gestion dans neuf PME de la région. Les entreprises sollicitées avaient déjà travaillé avec l'Aract et ont accepté de jouer le jeu. Mais aucune n'a demandé à l'organisme de lui restituer les résultats.

Encore du chemin à parcourir

« Aucune des entreprises visitées, qu'elle soit confrontée ou non au vieillissement de sa population, ne s'interroge sur une possible gestion ou anticipation du phénomène, explique Isabelle Rogez, coauteure de l'étude. Certes, certaines ont appréhendé indirectement la question dans le cadre de mesures concernant les conditions et l'organisation du travail, mais elles sont souvent ponctuelles et ne suffisent pas toujours à éviter une dégradation de l'état de santé liée à des pénibilités ou à la charge de travail. »

Le temps d'une meilleure prise en compte de l'âge dans les situations du travail n'est pas encore venu. Serge Volkoff le confirme : « Un jour, alors que j'attirais l'attention d'un comité de direction sur la nécessité d'améliorer les conditions de travail, afin de préserver la santé des travailleurs, et notamment des plus âgés, un cadre supérieur, occupant un poste stratégique pour l'examen de la question m'a répondu : "Nous ne sommes pas au Club Med !". » Une réflexion qui en dit long.

L'essentiel

1 Le vieillissement entraîne une altération de la santé et peut aboutir à une limitation des capacités de travail.

2 Mais l'existence et l'ampleur des problèmes liés au vieillissement dépendent largement des conditions et de l'organisation du travail.

3 Seules les entreprises confrontées à un phénomène de vieillissement massif de leur personnel prennent des mesures pour adapter l'ergonomie des postes de travail ou, plus rarement, modifier le rythme et la durée du travail ou la répartition des tâches.

Et demain en Europe ?

L'avenir n'est pas rose pour les salariés vieillissants en Europe. L'enquête 2000 sur les conditions de travail, réalisée par la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de travail, conclut à une détérioration des conditions de travail par rapport aux résultats enregistrés en 1991 et 1996. Elle révèle une persistance des conditions physiques pénibles, une augmentation du stress et une intensification du travail. Nombre de travailleurs sont encore exposés au bruit intense (29 %), à la manutention de charges lourdes (37 %), à des postures douloureuses et pénibles (47 %), à des cadences très élevées (56 %) et à des délais de travail courts (60 %).

Conséquence, une proportion croissante de travailleurs fait état de problèmes de santé d'origine professionnelle : douleurs dorsales, stress, douleurs du cou et des épaules, fatigue. Autant de phénomènes qui risquent de contribuer à amplifier les effets naturels du vieillissement.

Consciente du problème, l'Europe a créé un programme, Equal Merite, qui permet de financer des actions visant à aider les entreprises à optimiser leur gestion des travailleurs âgés, notamment en matière de conditions de travail, sous l'angle ergonomie, santé et sécurité. Les premières réalisations ne sont pas attendues avant 2003-2004.

POUR EN SAVOIR PLUS

Efficaces à tout âge ? Vieillissement démographique et activités de travail, Serge Volkoff, Anne-François Molinié, Annie Jolivet, Centre d'études de l'emploi, 2000.

Etude sur les phénomènes de vieillissement au travail. Représentations et mode de gestion dans neuf PME de la région Nord-Pas-de-Calais, Xavier Leroy, Isabelle Rogez, Angélique Cardinal, Aract Nord-Pas-de-Calais, 2000.

La démographie du travail pour anticiper le vieillissement, Anne-François Molinié, Serge Volkoff, éditions Anact, 2002.