logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

SANS

Le développement durable change la finalité de l'entreprise

SANS | publié le : 10.09.2002 |

Les pressions sur les entreprises pour s'engager dans une démarche de développement durable vont encore s'accentuer. Pour Elisabeth Laville, cette démarche engage très profondément l'entreprise, car elle l'oblige à revoir sa stratégie et ses modalités de fonctionnement.

E & C : Le développement durable est-il une mode passagère ou sera-t-il de plus en plus pris en compte par les entreprises ?

E.L. : D'abord, il ne s'agit pas d'un phénomène nouveau. Un certain nombre d'entreprises avaient, depuis longtemps, des principes et des pratiques de développement durable, même si elles n'employaient pas ce terme. Je pense, par exemple, à l'association des Héniens, compo- sée d'entreprises plus que centenaires. Elles ont en commun des règles de prudence, d'indépendance énergétique, d'insertion dans la communauté, etc., qui sont celles du développement durable. Et surtout, cette idée que chaque génération doit léguer aux générations suivantes l'entreprise, mais aussi l'environnement, dans un état au moins meilleur que celui dans lequel elle l'a pris.

D'autre part, une pression de plus en plus grande s'exerce aujourd'hui sur les entreprises et elle n'est pas près de s'arrêter. Le risque écologique, la raréfaction des ressources, mais aussi les impératifs humains et sociaux vont dans ce sens-là. Une révolte chez un sous-traitant de telle entreprise au Bangladesh fait maintenant la Une à New York, Paris ou Londres, et a des répercussions fortes sur l'image de l'entreprise. La globalisation se fait aussi dans ce sens-là. Par ailleurs, les ONG demandent des comptes, participent aux groupes de travail qui font les normes de demain. Enfin, la pression des investisseurs n'est pas susceptible de s'amoindrir. Les milieux financiers s'intéressent, aujourd'hui, aux aspects liés à l'éthique. Il est probable que la notation sociale et environnementale s'intégrera progressivement à la notation financière classique, lui apportant, ainsi, une pérennité et une large diffusion. Bref, le mouvement de fond est certainement irréversible parce qu'il en va de la survie de la planète, de l'espèce humaine... et des entreprises.

E & C : Qu'est-ce qu'une démarche de développement durable à l'échelle d'une entreprise ?

E.L : Des entreprises disent, aujourd'hui, faire du développement durable, parce qu'elles ont déjà travaillé sur la réduction de leur consommation d'eau ou d'énergie. Ce sont des premiers pas utiles, mais c'est là une vision réductrice du développement durable, qui est, au fond, plus révolutionnaire et qui, donc, fait un peu peur aux entreprises. En effet, une démarche de développement durable oblige à repenser les modalités et les finalités de l'entreprise. Par exemple, elle ne peut plus fonctionner en autarcie et doit fonder ses décisions sur une consultation large des parties prenantes (ou stakeholders), c'est-à-dire l'ensemble des publics concernés par son activité. Et parmi eux, se trouvent des gens qui ont des points de vue complètement opposés. La démarche est donc difficile ! Il ne faut pas sous-estimer le changement que cela représente dans la façon de fonctionner des entreprises. Ce que certains auteurs appellent "la prochaine révolution industrielle" réinvente potentiellement tout ce que font les entreprises. Une société comme Sita, par exemple, est confrontée à une véritable évolution de son business depuis qu'elle s'est engagée dans le développement durable. Sous la pression d'associations environnementales, elle réfléchit, aujourd'hui, à apporter des solutions aux entreprises pour réduire les déchets à la source, alors que son activité historique principale est le traitement de déchets, facturé à la tonne. Même si la réduction des déchets semble, au premier abord, contradictoire avec son business, elle a accepté d'y réfléchir et a créé un département proposant du conseil aux entreprises. C'est un véritable défi car, potentiellement, il ne s'agit plus du tout de la même entreprise. Le changement culturel est profond : dans une démarche de développement durable, il faut accepter d'être débutant.

E & C : Quel rôle peut jouer le DRH dans une démarche de développement durable ?

E.L. : D'abord, il faut considérer les RH comme un champ du développement durable. Les collaborateurs constituent un groupe de stakeholders important. Il faut donc mettre en place des outils mesurant leur satisfaction et leurs attentes, celles de tous les salariés, et pas seulement des cadres. Il est important aussi de restituer les résultats de l'enquête, de travailler sur les écarts et de fixer des objectifs, car le développement durable suppose de rendre des comptes. Il faut aussi réfléchir à la façon dont les RH peuvent servir la stratégie de développement durable de l'entreprise. Il existe déjà beaucoup de choses qui vont dans ce sens : management participatif, juste répartition des rémunérations et des formations, transparence de la communication interne, environnement agréable. Il y a aussi un travail à mener, qui relève de la stratégie, mais qui concerne aussi les RH, sur la fierté d'appartenance à l'entreprise. J'aime bien l'idée que les salariés choisissent leur entreprise pour sa mission, exactement comme les clients. Après - et cela relève des RH -, à charge de l'entreprise de se montrer à la hauteur des attentes qu'elle suscite.

SES LECTURES

Body and Soul, Anita Roddick, Editions Vermillon, 1992.

Mid-Course Correction, Ray Anderson, Chelsea Green Publishing, 1998.

L'écologie de marché - ou l'économie quand tout le monde gagne, Paul Hawken, Editions Le Souffle d'Or, 1995.

PARCOURS

Diplômée d'HEC, Elisabeth Laville dirige Utopies, un cabinet de conseil en développement durable, qu'elle a créé en 1993. Elle fait partie des experts APM (Association pour le progrès du management), un courant du Medef. Elle est l'auteure de L'entreprise verte, paru en avril 2002, aux Editions Village mondial.