logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

SANS

Redéfinir les niveaux pertinents de négociation

SANS | publié le : 27.08.2002 |

Pour réussir la réforme de la formation professionnelle, il est urgent, pour Jean-Pierre Bellier, de redéfinir les niveaux pertinents du dialogue social. Selon lui, la négociation interprofessionnelle a fait long feu.

E & C : Le gouvernement fait du renouveau du dialogue social une priorité : cette volonté est-elle une condition nécessaire et suffisante pour réussir la réforme de la formation professionnelle ?

Jean-Pierre Bellier : Nécessaire, oui, suffisante, non : le gouvernement prône également une "décentralisation pleine et entière" de la formation professionnelle ! Dans ces conditions, dialogue social et décentralisation ont intérêt à faire bon ménage, ce qui n'a pas toujours été le cas ! Nous risquons de vivre un nouvel épisode des Shads sur la hiérarchie des normes, cette inopportune évidence juridique qui a rendu impossible, ces dernières années, toute tentative de réforme en profondeur...

E & C : Pourtant, la parution de la loi et des décrets d'application sur la validation des acquis de l'expérience a démontré la capacité nationale à créer de nouveaux dispositifs !

J.-P. B. : Mais le dossier de la VAE a une véritable antériorité, quasi historique ! Il est engagé depuis une loi de 1934 qui a introduit l'idée qu'un technicien pouvait accéder à un diplôme d'ingénieur dès lors qu'il en maîtrisait les savoirs constitutifs ! C'est cette loi qui constitue le socle juridique initial de tout le champ de la reconnaissance et de la validation des acquis. De plus, les partenaires sociaux mènent depuis longtemps une réflexion sur ce thème ; quant aux régions, elles ont déjà anticipé, par nécessité "de terrain", la mise en oeuvre de tels dispositifs.

E & C : S'agissant de la VAE, justement, quelle appréciation portez-vous sur son avenir ?

J.-P. B. : L'intention initiale a subi une forte influence de l'Education nationale pour imprimer une vision diplômante de la certification. Il eût été plus rationnel de construire un dispositif de validation partant de l'activité, de l'emploi, du métier, qui aurait débouché sur une validation soit diplômante soit complémentaire aux diplômes ou aux titres : des certificats de compétences ou de qualification paritaires, par exemple, ou, au minimum, à l'instar de ce qui se pratique au Japon dans les career centers, un CV standardisé lisible par toutes les entreprises, la nouvelle "monnaie unique" que les ministres et les partenaires sociaux européens appellent de leurs voeux ! On est partis de l'idée initiale de faciliter la mobilité des salariés, on risque d'en arriver à la plomber du fait de l'émergence subtile d'une nouvelle obligation de preuve à fournir...

E & C : Selon vous, comment reprendre sereinement le chemin de la réforme ?

J.-P. B. : L'erreur à ne pas réitérer serait, pour les partenaires sociaux, de réenclencher un processus de négociation avec les mêmes ambiguïtés tactiques que celles qui ont abouti à l'échec de ces derniers mois... et, pour le gouvernement, de "se féliciter" de voir le dialogue social se ressaisir du dossier sans contribuer aux conditions de sa réussite. La première des urgences est de redéfinir collectivement les niveaux pertinents de négociation : l'approche interprofessionnelle est-elle encore capable de prendre en compte la diversité des besoins des salariés et des entreprises ? Les branches ne sont-elles pas mieux placées pour permettre à la loi de 1971 d'évoluer d'une obligation de moyens en une obligation de résultats ? De nouveaux modes de contractualisation entre l'Etat, les partenaires sociaux et les collectivités territoriales ne permettent-ils pas de fixer des objectifs plus qualitatifs pour le développement de la formation ?

E & C : Dans ce climat, la première initiative pour l'emploi du gouvernement Raffarin, le "contrat jeunes" sans formation, vous semble-t-elle aller dans la bonne direction ?

J.-P. B. : Le gouvernement a-t-il veillé à ce que ce dispositif ne provoque pas un "effet d'aubaine" au détriment d'embauches classiques ? Démon- tre-t-il qu'il s'adresse à une frange de population inoccupée et qu'il concerne des emplois qui n'auraient pas été pourvus s'il n'avait pas été créé ? Les critères d'éligibilité sont-ils pertinents ? Sur ce point, l'option consistant à destiner ce contrat à des jeunes "dits" non qualifiés m'apparaît absurde et trompeuse : elle laisse entendre aux titulaires d'un CAP, d'un BEP, voire d'un CQP, qu'ils ne sont pas qualifiés ! En outre, ce critère moyen ne tient en aucun cas compte de la diversité, branche par branche, des seuils d'employabilité. Quant à la tranche d'âge retenue (16-22 ans), elle brouille l'image des autres contrats destinés aux jeunes de moins de 26 ans, sans parler du risque de les cannibaliser... Enfin, l'absence d'incitation à un co-investissement de la part de l'entreprise est une occasion manquée : on aurait au moins pu inscrire dans la loi une obligation d'accompagner le jeune dans la réalisation d'un projet personnel de qualification comportant, a minima, une prestation type bilan de compétences, le cas échéant, suivie d'une proposition de formation assortie d'une validation des acquis de l'expérience. Le dispositif retenu s'inscrit tout à fait dans la logique Shad selon laquelle « s'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème... »

SES LECTURES

Les vilains petits canards, Boris Cyrulnik, Odile Jacob, 2001.

La démocratie post-totalitaire, Jean-Pierre Le Goff, La Découverte, 2002.

La seule certitude que j'ai, c'est d'être dans le doute, Pierre Desproges, Seuil, 1998.

PARCOURS

Ancien conseiller de Jean-Pierre Soisson pour la formation professionnelle, Jean-Pierre Bellier a conduit la création des bilans de compétences, avant d'être nommé expert auprès du BIT. Chargé de mission pour la professionnalisation des emplois jeunes à l'Education nationale de 1998 à 2001, il rejoint aujourd'hui Hervé Serieyx, président du groupe Quaternaire.