Petite réunion entre complices.

Comme chaque année à la fin de son exercice social, ce client souhaite que j'assiste à la réunion de son comité de direction, traditionnellement consacrée à la seule question suivante : « Que pouvons-nous faire de mieux l'année prochaine pour nos clients ? »

J'aime cette question.

Elle contourne les spéculations infinies sur l'organisation idéale, réduit les antagonismes entre services, et prend de court tous les petits marquis qui assistent pour la première fois à ce débat rustique, tonifiant et particulièrement efficace jusqu'ici.

Les propositions pleuvent.

Non pas que le niveau de qualité de service soit particulièrement indigent jusqu'ici, ce qui laisserait place à des océans de progression.

Mais simplement parce que l'ambiance générale, dans cette équipe, à l'initiative bienveillante et attentive de son patron, permet d'oser des propositions quelquefois saugrenues, sans pour autant déclencher le moindre sarcasme.

Tout est écouté, tout est analysé.

Du coup tout est osé.

Voilà leur premier secret : la volonté de ne rien laisser passer, et surtout pas en fonction de la réputation de celui qui émet une proposition. Jeune ou vieux, technicien ou commercial, en avance ou en retard sur ses objectifs, la discussion est ouverte à tous.

« On devrait accompagner mieux nos clients dans leurs tentatives à l'export », lance l'un. « Et ça suppose qu'on fasse un effort important pour parler plusieurs langues. Non pas qu'on soit techniquement gênés. Mais la traduction empêche la complicité. Voilà une piste. »

Hochements de tête approbateurs.

« D'accord », dit l'autre. « Mais on doit en priorité regarder nos propres conditions de production. Elles se dégradent pour toutes sortes de raison, et pas seulement à cause des 35 heures. C'est bien beau d'aller faire les beaux chez le client, en français, en anglais ou en serbo-croate. Encore faudrait-il pouvoir tenir la promesse de nos commerciaux. Et livrer à l'heure ! Voilà une vraie priorité ! »

Que va dire le patron ?Quel arbitrage ?

« Merci Messieurs. Réfléchissons ensemble. Que nous montre l'histoire des hommes ? Que les polyglottes, même approximatifs, lancés sur les routes à la rencontre des autres, ont tous survécu. Les troglodytes, qui se croyaient à l'abri, bien au chaud sous leur peau d'ours, sont tous morts à la première agression. C'est décidé. Nous choisirons l'effort collectif d'apprentissage des langues. »

Curieux argument. Mais sûrement très juste !