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Sécuriser les trajectoires de vie et non l'emploi

SANS | publié le : 16.07.2002 |

Les parcours des salariés ne sont pas standardisés. Pourtant, l'indemnisation du non travail est actuellement concentrée en fin de carrière. Il faudrait revoir la répartition des périodes de travail et de non travail indemnisées au cours de l'existence.

E & C : Pourquoi la réforme des modèles sociaux européens de protection sociale est-elle inévitable ?

Anne-Marie Guillemard : Confronté au défi actuel mêlant problématique de vieillissement démographique et dépréciation et marginalisation de la main-d'oeuvre âgée, chaque pays européen doit mettre en route des réformes pour aboutir à un nouveau modèle social. Et tous les spécialistes s'accordent à dire que le système continental est celui qui réunit le plus grand nombre de "pathologies". La plus notable, observée dans tous les pays qui ont ce système, a trait à une protection sociale produisant, entre autres, une spirale de l'inactivité en fin de carrière. C'est le cas, par exemple, de la France ou de l'Allemagne. Les salariés âgés ne sont pas les seuls concernés par cette inactivité institutionnalisée, il y a également les femmes et les jeunes. Cette "pathologie" débouche sur un dilemme : les dépenses de protection sociale croissent alors que le nombre des cotisants qui la finance se réduit fortement. Rappelons que le taux d'emploi des hommes de 55 à 64 ans, en France, est de 38 %, alors que l'objectif dans l'Union européenne est d'atteindre 50 % en 2010. Nous avons donc du chemin à parcourir.

E & C : Quelles corrections devrait-on appliquer au modèle français ?

A.- M. G. : Il faut, tout d'abord, corriger l'approche même du sujet. Le tort est d'appréhender la réforme de la protection sociale sous le prisme des retraites, alors que la question majeure est celle de la prolongation de l'activité et de la mise en place d'une politique de gestion des âges. Les entreprises commettent cette même erreur d'appréciation. Elles ont, néanmoins, des circonstances atténuantes, puisqu'il n'existe aucun instrument dans la politique française pour les mettre sur cette voie. Par ailleurs, elles ont pris l'habitude d'être aidées par des financements publics pour sortir avant l'heure leurs salariés âgés.

E & C : Quels sont les modèles européens possibles ?

A.- M. G. : Les modèles initiés par les Pays-Bas et la Finlande, deux pays également pris dans cette spirale de l'inactivité en fin de carrière, sont, à mon sens, des références. Ils fonctionnaient sur une logique passive de l'indemnisation fondée sur des droits et des risques répertoriés.

Aujourd'hui, ils pratiquent des systèmes d'incitations/ désincitations financières qui affectent les mécanismes de décision de toutes les parties pour faire valoir leurs droits. Tout ceci s'est fait sans toucher aux droits sociaux ou à la couverture sociale et sans faire peser sur les individus de nouvelles exigences et obligations. Ainsi, ils proposent aux salariés de choisir le moment de leur départ de la vie active et donc du montant de leur retraite ou préretraite. Aux entreprises de préserver et de promouvoir l'aptitude au travail des plus de 45 ans, d'améliorer les conditions de travail et l'employabilité des actifs âgés.

Cette approche est tout à fait pertinente dans nos sociétés où se multiplient les trajectoires de vie. En effet, pourquoi ne pas permettre aux salariés de choisir un départ en retraite entre 55 ans et 70 ans ? La marge de manoeuvre est là. D'autant que de plus en plus de salariés ont envie de faire des pauses dans leur vie professionnelle. Or l'indemnisation du non travail est actuellement concentrée en fin de vie. C'est absurde. Il faut donc revoir la répartition des périodes de travail et de non travail indemnisées au cours de l'existence. Pourquoi vouloir légiférer sur des parcours standards alors que nous vivons dans des temps sociaux de plus en plus destandardisés ? L'enjeu de la protection sociale est bien de sécuriser les trajectoires et non plus l'emploi.

E & C : Quelle action, en amont, cela suppose-t-il ?

A.- M. G. : Un important travail d'apprentissage, d'information et de communication. Aux Pays-Bas, l'Etat et les partenaires sociaux se sont engagés sur ce point. Les Finlandais ont choisi, quant à eux, un plan global quinquennal comprenant formations pour les employeurs, séminaires, campagnes de sensibilisation auprès des DRH, implication des inspecteurs du travail chargés de rencontrer les PME-PMI afin de leur expliquer comment on met en place une gestion des âges et non plus des mesures d'âge. C'est ce dernier exemple qui, je pense, serait le plus adapté à la France.

Mais avant d'en arriver là, cela suppose l'organisation de réunions de travail tripartites entre syndicats de salariés, organisations patronales et gouvernement. Les exemples ont montré que deux à trois ans sont nécessaires pour qu'émerge un projet commun. Aux pouvoirs publics de prendre l'initiative. Mais sans perdre de temps. Il faut compter entre dix et quinze ans pour que s'active un nouveau modèle social.

SES LECTURES

Active strategies for older workers, European trade union institute Edition (Etui), 2002.

Plein emploi, l'improbable retour, Olivier Marchand, Folio actuel, 2002.

Welfare and work in the open economy, Volume 1 et 2, Oxford University Press, 2002.

PARCOURS

Docteur en sociologie et es-lettres et sciences humaines, Anne-Marie Guillemard est professeur en sociologie à Paris-5.

Elle est membre de l'Académie européenne des sciences et de l'Institut universitaire de France. Ses domaines de recherche : la comparaison internationale des politiques sociales et les politiques de la vieillesse et de retraite.

Elle est l'auteure de nombreux ouvrages, notamment, Le déclin du social (PUF, 1986), Time for retirement (Cambridge University Press, 1991), Emploi et vieillissement (Documentation française, 1994). Elle a coordonné le numéro d'avril-juin 2002 de la Revue française de sociologie, intitulé L'Europe sociale en perspective.

Anne-Marie Guillemard est aujourd'hui consultée pour participer au travail de réflexion du Conseil d'orientation des retraites (COR).