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L'Europe débat des tests génétiques sur les salariés

SANS | publié le : 16.07.2002 |

La Commission européenne vient d'entamer une consultation des partenaires sociaux sur l'utilisation, en milieu de travail, de tests génétiques qui permettraient aux employeurs d'écarter les salariés présentant une plus grande sensibilité aux maladies professionnelles.

Quel employeur n'a jamais rêvé du salarié modèle qui ne risque pas de faire défaut sous le coup d'une maladie professionnelle ? Il suffirait de tester la susceptibilité génétique du salarié ou du candidat à l'embauche, c'est-à-dire de détecter des gènes l'exposant à un futur cancer ou à une allergie qui n'est pas encore déclarée. En bref, les tests génétiques s'imposeraient comme moyen de prévention des pathologies professionnelles. Et comme outil de discrimination à l'embauche ou à l'évolution professionnelle. Le scénario est digne d'un roman de Georges Orwell. Ce n'est encore que de la science fiction en Europe. Mais aux Etats-Unis, où seuls 28 Etats l'interdisent, la pratique pointe. A l'automne 2000, le président Bill Clinton avait même pris soin de faire passer une loi qui interdit à toute agence fédérale d'obtenir ou d'utiliser toute information génétique dans le cadre d'une décision managériale.

Nouvelle directive

La Confédération européenne des syndicats (CES) a profité d'une opportunité offerte par la Commission européenne qui, en octobre dernier, a lancé une première phase de consultation des partenaires sociaux sur la protection des données personnelles des travailleurs. Elle préconise une nouvelle directive qui inclurait un chapitre relatif aux examens génétiques. « Un examen génétique ne peut servir d'épreuve de recrutement ; cette pratique doit être formellement interdite. Il faut déclarer illégale la sélection génétique fondée sur une évaluation prédictive de la prédisposition ou de la susceptibilité d'un individu », estime la Confédération. La CES n'exclut cependant pas la possibilité de proposer ces tests aux salariés sur la base du volontariat. « Par ces termes, il faut entendre la possibilité laissée à l'individu de réaliser des tests génétiques dans le cadre de la médecine publique, si ses conditions de travail l'exposent à un risque. Les résultats resteraient confidentiels, » explique Laurent Vogel, responsable du bureau technique syndical pour la santé et la sécurité de la CES.

Test génétique prédictif

Actuellement, aucun test génétique n'est pertinent pour la prévention sur les lieux de travail. « Soit ils portent sur des pathologies qui n'ont rien à voir avec le travail, soit ils n'ont qu'une valeur prédictive très approximative, précise le Dr Karel Van Damme, coordonnateur de projets de recherches européens sur les tests génétiques et directeur à l'Inspection médicale du travail en Belgique, où un projet de loi visant à interdire les tests génétiques est en cours de discussion. Dans le meilleur des cas, un test génétique prédictif préciserait la probabilité de la venue d'une maladie par rapport au risque répandu dans une population de même âge et de même sexe. Mais rien ne peut assurer que l'individu sera un jour ou l'autre malade. »

En Europe, deux types de législation dominent dans le domaine de la santé au travail. « Dans la plupart des pays européens, l'employeur n'a jamais accès à des données médicales, mais aux conséquences éventuelles de celles-ci en termes d'aptitude, explique Laurent Vogel. Néanmoins, aucune législation nationale ne mentionne le problème des tests génétiques : rien ne les autorise ni ne les interdit. En revanche, au Danemark, les tests génétiques sont considérés comme une information médicale comme une autre, et sous certaines conditions, telles que des nécessités de fonctionnement de l'entreprise, peut être communiquée à l'employeur. »

« Au Danemark, les médecins du travail ont été remplacés par des hygiénistes, présents dans une petite minorité d'entreprises, complète Karel Van Damme. La Suède fait de la prévention, mais le rôle du médecin du travail est confiné dans le cabinet médical. Aux Pays-Bas, les médecins du travail ont davantage pour rôle de réduire l'absentéisme - les maladies de longue durée sont à la charge de l'employeur -, que d'améliorer les conditions de travail. »

Faire de la prévention

Car c'est bel et bien la médecine du travail qui est au coeur du débat. « Les discussions autour des tests génétiques illustrent bien le vieux réflexe du patronat, qui consiste à rejeter la faute sur le salarié : on préfère parler de mauvais ouvriers plutôt que de réfléchir aux conditions de travail, remarque Bernard Salengro, président de la fédération CFE-CGC de la médecine du travail en France. Les employeurs aimeraient pouvoir adapter les hommes aux outils. Avec les tests génétiques, ils sélectionneraient les plus résistants aux risques plutôt que d'assurer des situations de travail sans risque. Or, le médecin du travail est là pour faire de la prévention et pour que personne ne soit malade à cause du travail. Pas pour sélectionner les plus résistants. »

Deuxième phase de consultation

Pour les employeurs européens, la tentation est d'autant plus grande qu'ils financent le système de réparation des maladies professionnelles. Interrogée, l'institution représentative du patronat européen, l'Unice (Union des confédérations de l'industrie et des employeurs d'Europe), estime que « la question est trop spécialisée, et sort de [son] mandat habituel ».

La Commission européenne, elle, indique qu'elle lancera une deuxième phase de consultation en septembre prochain. Syndicalistes, chercheurs et médecins du travail espèrent qu'elle aboutira à une interdiction des tests génétiques dans le cadre professionnel. Pour ne pas prendre le risque, un jour, de vivre dans une société où le travail serait réparti selon les particularités génétiques des uns et des autres.

L'essentiel

1 La Commission européenne lancera, en septembre, une deuxième consultation avec les partenaires sociaux sur le recours aux tests génétiques dans le cadre du travail.

2 En Europe, deux types de législation existent. Aux Pays-Bas et au Danemark, les employeurs peuvent y avoir recours. En France, la loi du 4 mars 2002, fruit d'un bras de fer entre patronat et médecine du travail, interdit aux entreprises de recourir aux tests génétiques.

3 Dans les autres pays, aucune législation ne mentionne ce problème : rien ne les autorise, rien ne les interdit.