Elle est devenue le parfait cadeau pour une entrée à l'ENA. Elle se devine sous les manchettes amidonnées de membres des conseils d'administration, ou fait la fierté de cadres qui y ont consacré une prime de fin d'année : la Reverso, montre phare de la collection de Jaeger-LeCoultre, séduit depuis quelques années, au-delà du cercle habituellement réduit de la jet-set fortunée et des passionnés de haute-horlogerie. Cette montre basculante, inventée dans les années 30, se décline, aujourd'hui, dans de très nombreux modèles plus ou moins complexes, et tous usinés et agencés patiemment à la main, sur un plateau du Jura suisse. Ici, au nord de Genève et à quelques kilomètres de la frontière française, entre sapins, pâturages épais et chalets prospères, sont implantées une bonne partie des marques horlogères les plus prestigieuses du monde.

Avec 1 050 salariés, dont 900 sur place, Jaeger-LeCoultre est la plus importante de ces entreprises de la Vallée de Joux. La fabrique peut, à bon droit, se parer du nom de manufacture, terme qui illustre l'intégration verticale de la production. Quelques rares entreprises horlogères, comme Rolex, par exemple, peuvent aussi s'en prévaloir. Dans ce cas, le recours à la sous-traitance est minimal. « Cette particularité fonde notre culture et explique l'attachement des salariés à l'entreprise, explique Roland Cretin, l'administrateur du personnel. Ici, nous réalisons un produit de grande qualité du début à la fin, et les possibilités d'évolution sont plus nombreuses. »

La majorité des salariés sont des frontaliers français, intéressés par les niveaux des salaires helvétiques. Mais, sur ce petit territoire, la concurrence entre marques horlogères nécessite de savoir fidéliser. Le taux de turn-over de JLC tourne autour de 8 %, dont les départs suscités. Plutôt raisonnable pour le secteur. En matière de salaire, les marques jouent la raison, en s'alignant, peu ou prou, autour d'évolutions décidées, chaque année, par les partenaires sociaux de la branche. « Nous respectons les prix du marché, explique ainsi Jean-Pierre Sassard, le directeur de production de JLC. Mais nous offrons un bon potentiel d'évolution de carrière - par exemple, pour les horlogers, il faut en moyenne deux ans pour changer d'atelier, en progressant vers des tâches de plus en plus délicates. Et nous portons nos efforts sur la mise en oeuvre d'une politique claire et d'une communication interne importante. »

Des plans stratégiques à cinq ans sont déclinés en valeurs de l'entreprise ; 150 collaborateurs, organisés en 5 groupes de 30, sont associés à une réflexion de long terme sur ces valeurs et y puisent des idées d'améliorations très concrètes. Les mêmes bénéficient de deux fois deux jours de formation, à l'extérieur de l'entreprise, sur l'amélioration continue. Ils ne sont pas choisis au hasard : ce sont les meilleurs vecteurs de communication. « Des gens qui voyagent dans l'entreprise, détaille Jean-Pierre Sassard : la maîtrise de proximité, des secrétaires d'ateliers, les logisticiens, les hommes des méthodes... » Une forme de management serein qui sied à la manufacture : oubliée la grande crise du quartz, qui a touché toute l'horlogerie de prestige jusqu'au milieu des années 80. Depuis 1987, le chiffre d'affaire de JLC a été multiplié par douze et, l'année prochaine, un nouveau bâtiment s'accolera à la vénérable manufacture, déjà bien modernisée, pour en augmenter les capacités et permettre de recruter jusqu'à 350 personnes supplémentaires en quelques années.

1 050 salariés.

225 millions d'euros de chiffre d'affaires, en 2001 (estimation).

1833 date de création. En 1903, Jacques-David LeCoultre s'associe avec Edmond Jaeger, fabricant parisien de chronomètres.