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Le long chemin vers la réparation intégrale

SANS | publié le : 25.06.2002 |

Le système de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT/MP) repose sur une indemnisation forfaitaire des victimes. Le passage à une réparation intégrale est aujourd'hui probablement inéluctable.

E. & C. : Pourquoi la réforme de l'indemnisation des victimes du travail est-elle incontournable ?

Michel Yahiel : Penchons-nous sur les histoires parallèles du droit de la Sécurité sociale et du droit commun de la réparation du préjudice corporel. Le second s'est systématiquement enrichi dans le sens de la réparation intégrale.

La loi Badinter de 1985, par exemple, accorde une indemnisation intégrale aux victimes d'un accident de la circulation dont le responsable n'a pas été identifié. Ce principe a été étendu aux malades du sida contaminés dans le cadre d'une transfusion sanguine, aux victimes du terrorisme ou, plus récemment, aux malades de l'amiante et aux victimes d'aléas thérapeutiques. Bref, toutes les catégories d'accidents sont prises en charge dans le cadre de la réparation intégrale, sauf les AT/MP. C'est ainsi que, pour les mêmes blessures, les salariés victimes de l'explosion de l'usine AZF ne seront pas indemnisés de la même manière que les victimes qui se trouvaient à l'extérieur de l'usine.

E. & C. : Combien coûtera le passage à la réparation intégrale ?

M. Y. : Aucune étude récente et fiable n'est disponible sur ce sujet. En particulier, ne sont pas évalués les gains et pertes qui en résulteraient, selon le niveau et la nature des indemnisations des victimes dans le régime actuel. L'une des interrogations majeures concerne les petites incapacités de travail temporaire. Le barème actuel prend en compte la perte de la capacité de travail, mais aussi, bien que partiellement, le préjudice économique. Il se peut que les taux appliqués dans ces situations, au demeurant les plus nombreuses, soient plus élevés que ceux du barème de droit commun. Deux études vont être lancées : l'une sur l'impact financier, confiée à la CNAMTS, l'autre sur la détermination d'un barème unique, quels que soient l'origine et le cadre juridique des lésions, et réalisée sous l'égide du Haut comité médical de la Sécurité sociale. Cela va représenter une bonne année de travail ; les résultats sont attendus, au plus tôt, pour le printemps 2003. Ce sera ensuite au Parlement de légiférer sur proposition du gouvernement.

E. & C. : L'abandon de la réparation forfaitaire remet-il en cause les principes fondateurs de la loi de 1898, qui a créé le système de réparation des accidents du travail ?

M. Y. : Je ne vois aucune raison majeure qui justifierait l'abandon de ces deux principes que sont l'immunité civile des employeurs et la présomption d'imputabilité. Certes, le premier est fortement bousculé par la jurisprudence récente de la Cour de cassation sur la faute, inexcusable de l'employeur, qui permet au salarié de bénéficier d'une réparation intégrale. Si celle-ci devient la règle en matière de Sécurité sociale, la faute inexcusable ne sera plus utilisée comme une sorte de détour vers une meilleure indemnisation, et l'on devrait ainsi revenir vers une définition moins extensive de la faute inexcusable.

De même, je ne vois pas pourquoi le principe de présomption d'imputabilité, qui fait que le salarié n'a pas à apporter la preuve du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, serait remis en cause dans ce nouveau cadre.

E. & C. : Que recouvrira la réparation intégrale ?

M. Y. : Au-delà de la réparation, c'est-à-dire l'indemnisation du préjudice subi, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une réflexion sur le remboursement des soins.

Actuellement, la nomenclature de la Sécurité sociale ne prévoit pas le remboursement d'actes paramédicaux, de certains appareillages ou d'équipements d'appartement ce qui n'est pas le cas dans le droit commun. De même, faut-il prendre en charge, dans le cadre d'une réparation intégrale, et dans quelles conditions, la réinsertion professionnelle d'un salarié victime d'un AT/MP et déclaré inapte à occuper son poste ? Ces aspects méritent d'être étudiés.

E & C : La branche AT/MP, qui, logiquement, a vocation à prendre en charge cette réforme, est-elle en mesure de la mener à bien ?

M.Y. : La raison pousse à confier cette réforme à la branche AT/MP. J'imagine mal l'intérêt de la confier à un nouvel organisme public, qui serait à créer, et encore moins à l'assurance privée. Cette dernière solution conduirait à faire exploser le système. Cependant, les constats, notamment ceux de la Cour des comptes, et diverses analyses conduisent à estimer que la branche AT/MP ne sera en mesure de relever le défi qu'au prix de transformations profondes.

Il va notamment falloir travailler sur la représentation des victimes au sein de la commission AT/MP et envisager de doter cette branche d'une convention d'objectifs et de gestion. Il faudra aussi former les agents en poste, en recruter d'autres et procéder à des redéploiements de fonctions. C'est un vaste chantier qui s'ouvre.

SES LECTURES

Le livre des illusions, Paul Auster, Actes Sud, 2002.

La grande désillusion, Joseph Stiglitz, Fayard, 2002.

Louis XI, Jean Favier, Fayard, 2002.

PARCOURS

Michel Yahiel est l'auteur d'un rapport sur les conditions de mise en oeuvre du rapport Masse sur la réparation des AT/MP, à la demande du ministère de l'Emploi et de la Solidarité de la précédente législature.

Il a rejoint l'Inspection générale des affaires sociales en 1982. Il a été directeur du Fonds d'action sociale de 1986 à 1991, avant de prendre les fonctions de directeur de cabinet de Jean-Louis Bianco, puis de René Teulade, ministres des Affaires sociales, jusqu'en 1993. De 1996 à 1999, il a occupé le poste de directeur général du cabinet de conseil Bernard Brunhes International.

Michel Yahiel est, actuellement, inspecteur général à l'Igas et, parallèlement, rapporteur général de la Commission pour les simplifications administratives (Cosa), que préside le Premier ministre.