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Les femmes doivent créer leurs propres réseaux

SANS | publié le : 11.06.2002 |

Si la trentaine est l'âge de l'accès aux responsabilités pour les femmes cadres, c'est à 40 ans que se jouent les postes de pouvoir. Un âge où, souvent moins disponibles, elles ne se plient pas aux rituels masculins du pouvoir .

E & C : Quelles sont les différentes étapes de la vie professionnelle des femmes cadres ?

Gabrielle Rolland : Avant l'âge de 40 ans, le parcours professionnel des femmes est semblable à celui des hommes. Après quelques années d'expérience, la trentaine est le moment de l'accès aux postes de responsabilité. Je fais une grande différence entre la responsabilité et le pouvoir : la responsabilité vous donne un retour immédiat sur vos actions, contrairement au pouvoir, qui engage le futur. Les postes de pouvoir se jouent vers 40 ans. Cet âge correspond à une prise de conscience du temps qui passe ; la relation au temps change davantage pour la femme, pour qui l'âge d'avoir des enfants est bientôt révolu. Peur du vieillissement, questions de séduction s'ajoutent à une recherche plus grande et globale de qualité de vie. Cette période est aussi la plus compliquée avec les enfants, qui deviennent adolescents. Le père, plutôt sur le registre relationnel avec eux, laisse à la femme le champ de l'autorité. Ainsi, les hommes accentuent leur spécialisation sur la vie professionnelle, amorcée vers 30 ans, tandis que la nécessité d'être sur tous les fronts s'intensifie pour les femmes. Vers 50-55 ans, libérées en partie de ces tiraillements, en particulier par rapport aux enfants et à la culpabilité afférente, elles ont une deuxième carte à jouer. Mais elles saisissent rarement l'opportunité, quand elles l'ont.

E & C : Comment se joue la différence entre femmes et hommes vers 40 ans ?

G. R. : Le moment où la compétition est la plus rude est donc celui où les femmes ont le moins de disponibilité. Leur atout, être multiregistres, se transforme en handicap, parce qu'il signifie épuisement et autres préoccupations que la carrière professionnelle : elles renoncent souvent face à la surcharge et restent dans les lieux de responsabilité, où elles sont nombreuses aujourd'hui. Surtout, le pouvoir ne se conquiert pas que par la compétence ; elle est nécessaire mais non suffisante. L'accès au pouvoir passe par le réseau. Et celui-ci se construit dès 35 ans, à travers les anciens des grandes écoles, la franc-maçonnerie, les jeunes dirigeants... Les hommes, libérés du registre de la vie privée, prennent le temps de le tisser, notamment en participant à des réunions que les femmes jugent inintéressantes. Elles se retrouvent donc en dehors des réseaux du pouvoir. Pour les femmes célibataires ou sans enfants, ce n'est pas forcément différent ; l'idée répandue, en France, que l'égalité est acquise, a endormi la méfiance, et elles ne sont pas préparées à lutter.

E & C : Voyez-vous tout de même une évolution ?

G. R. : Depuis quinze ans, il n'y a pas plus de femmes au pouvoir, je dirais presque moins. Celles qui y parviennent ont, soit endossé le costume masculin, soit poursuivi un projet que j'appellerais féministe, dans une volonté de démontrer en tant que femme. Je crois que les femmes n'ont pas très envie du pouvoir. Elles ne sont pas à l'aise dans ses rituels. Non-dit, réunions inutiles et évitement du conflit n'entrent pas dans les rituels féminins, qui sont plus agressifs, face à face. Les femmes dérangent en s'exprimant, elles cassent les rites. C'est le prétexte pour les exclure. La confiance en soi, en ses potentiels au pouvoir, continue également de faire défaut aux femmes.

E & C : Comment envisagez-vous l'avenir, comment arriver à davantage de parité ?

G. R. : Pour moi, rien n'aura changé dans dix ans, à moins d'une volonté d'action de la part des femmes. On dit que les entreprises intègrent de plus en plus de valeurs féminines, mais les hommes peuvent les développer autant qu'elles : intuition et écoute ne sont pas l'apanage des femmes, cela est un stéréotype. Elles doivent prendre conscience de l'enjeu du pouvoir, qui est de construire l'avenir ; il est primordial que la moitié de la population ne soit pas exclue de cette construction. Cela nécessite la création et la promotion de réseaux de femmes ; certains existent, qui fonctionnent bien, mais, peu valorisants, ils restent cachés. Le coaching et le mentoring sont des outils possibles. Les femmes en place ont la responsabilité de promouvoir d'autres femmes, d'être des modèles d'identification.

SES LECTURES

La révolution en tête, Gary Hamel, Village mondial, 2000.

La princesse oubliée, Laurent Jauffrin, Robert Laffont, 2002.

Ouf, Denise Bombardier, Albin Michel, 2002.

PARCOURS

Après une formation de psychosociologue, Gabrielle Rolland s'est orientée vers le marketing, qu'elle a enseigné à l'Institut français de gestion. Elle en est devenue la directrice générale adjointe.

Puis elle a fondé l'Institut européen du leadership, dont elle a été la présidente. L'ayant vendu en 1996 à Ernst & Young, qui a cédé son activité conseil à Cap Gemini, elle a été partner puis directrice associée du groupe.

Elle est l'auteure de sept essais sur le leadership et sur les femmes, dont Seront-elles au rendez-vous ?, Flammarion (1994), et Colère à deux voix, avec Hervé Sérieyx, Interéditions (1995).