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L'ingénierie pédagogique, au centre du e-learning

SANS | publié le : 28.05.2002 |

Le e-learning n'en est qu'à ses balbutiements, faute de réflexion sur l'ingénierie pédagogique. Associé intimement au concept "d'organisation apprenante", il est riche de promesses pour le développement des compétences dans l'entreprise.

E & C : Le e-learning va-t-il se développer dans l'entreprise ?

Sandra Bellier : Le e-learning va se développer, en particulier dans l'entreprise, et pas seulement pour des raisons de coût. Certes, dès lors que se poseront des problématiques croisant volume et dispersion, les gains seront évidents. Mais, dans les trois à cinq ans à venir, les entreprises ne feront pas d'économies, elles déplaceront seulement leurs dépenses dans l'investissement. Mais le plus important est ailleurs : il est dans les contenus de formation. Quand on parle de e-learning aujourd'hui, on mélange un peu tout : d'un côté, le e-training, c'est-à-dire des informations à disposition à distance, renvoyant davantage à des problématiques de messagerie, de circulation d'information en entreprise, de "basiques" partagés (langues, bureautique, etc.) ; de l'autre, le e-learning qui renvoie à des méthodes spécifiques d'apprentissage et se situe dans une logique d'entreprise apprenante, de capitalisation et de diffusion des savoirs. Les deux formes se développeront. Aujourd'hui, on sait à peu près faire du e-training, mais quasiment pas de e-learning car cela suppose une réflexion en termes d'ingénierie pédagogique bien supérieure à ce qui existe pour le moment sur le web ou même sur les CD-Rom. C'est pourquoi, actuellement, le e-learning ne peut être que mixte, c'est-à-dire combiner distance et présentiel.

Pour avoir des incidences réelles sur les compétences de l'entreprise, le e-learning doit être complètement pensé avec le knowledge management. Le jour où celui-ci saura utiliser des techniques et l'ingénierie pédagogiques, on sortira peut-être enfin de l'éternel problème de la formation : on sait repérer et structurer l'information, mais on ne sait pas la mettre à disposition et, surtout, on ne sait pas faire en sorte que les gens se l'approprient.

E & C : Quelles pistes d'ingénierie pédagogique préconisez-vous ?

S. B. : Il faudra travailler sur plusieurs aspects. D'abord, sur la question de la structuration des connaissances. Les plates-formes de e-learning continuent de structurer l'information en chapitres, sous-chapitres, etc., reproduisant ainsi les schémas de l'apprentissage classique. Or, les outils existants permettent de repenser totalement cela. Autre thème : la génération de parcours individualisés. On en parle beaucoup, mais ils n'existent nulle part. Pourtant, il est possible, grâce à des outils très pointus, comme le tracking, de repérer les stratégies d'apprentissage au moment où l'apprenant travaille sur l'écran et de lui générer un parcours totalement individualisé.

Enfin, il y a des choses à faire dans le domaine de l'évaluation. Evaluer avec des quiz me paraît bien simpliste : le quiz mesure la capacité de mémorisation à court terme, pas l'appropriation du savoir. Les outils de simulation seront, eux, les vrais outils d'évaluation de demain. Ils examineront la capacité à résoudre des problèmes dans des situations, certes virtuelles, néanmoins extrêmement proches de la vie réelle.

Je pense que tous ces outils nous donnent, pour la première fois, des possibilités importantes et qu'il est décevant de ne pas les utiliser à des fins d'ingénierie pédagogique. Il faut travailler en termes d'ingénierie, ce qui suppose des équipes mixtes de pédagogue et d'informaticien.

E & C : Le développement du e-learning entraînera-t-il des changements dans les métiers et les organisations ?

S. B. : Cela entraînera des changements radicaux de métiers et de positions. Les formateurs devront se former à la conception de formation à distance, ils devront être plus à l'aise avec les outils qu'ils ne le sont aujourd'hui, plus créatifs. Ils devront aussi se former sur la partie présentielle de la formation à distance. En présentiel, il ne s'agit plus d'apprendre au sens de déverser un contenu, il faut donner du sens à ce qui a été appris à distance. Nous sommes davantage dans la résolution de problèmes, dans une dimension de métacognition : cela n'a plus grand-chose à voir avec la plupart des stages de formation.

Du côté de l'entreprise, si l'on fait le lien entre e-learning et organisation apprenante, il est nécessaire d'impliquer la hiérarchie. Il faudra la former, lui donner les moyens de comprendre les processus d'apprentissage, d'évaluer, de suivre et d'accompagner ces processus qui, à mon avis, se passeront de moins en moins à l'extérieur mais de plus en plus sur le lieu de travail. Quand la production devient ce qui fait la connaissance, cela renvoie à des changements profonds dans la hiérarchie.

SES LECTURES

Les ailes de la colombe, Henry James, Gallimard, Ed. Folio.

Femmes amoureuses, David H. Lawrence, Ed. Gallimard, Folio.

Cours familier de philosophie politique, Pierre Manent, Ed. Fayard, 2001.

PARCOURS

Après dix ans à la Cegos, où elle a occupé les postes de responsable de l'équipe Ingénierie des compétences et de directrice recherche et développement, Sandra Bellier a rejoint, en 2001, le groupe Adecco.

Psychologue de formation, diplômée de l'IEP de Paris et docteur en gestion, elle est l'auteur de nombreux ouvrages sur la formation et les compétences. Parmi les plus récents : Le e-learning, Panorama de la GRH (avec Hubert Trapet) et Le e-management : vers l'entreprise virtuelle (avec Michel Kalika et coll.), tous publiés aux Editions Liaisons.

Sandra Bellier enseigne à l'IEP de Paris et est codirectrice du DESS à distance Management par les compétences et organisation, à l'université de Marne-la-Vallée.