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Des salariés aux trajectoires de plus en plus diversifiées

SANS | publié le : 14.05.2002 |

La mobilité professionnelle volontaire est très liée à la conjoncture économique. Freinée par plus de vingt ans de crise économique, elle pourrait bien s'accélérer dans les années à venir, à la faveur de l'évolution démographique.

E & C : Faut-il s'attendre, comme on le dit souvent, à changer d'emploi et de profession plusieurs fois au cours de sa vie ?

Jean-François Germe : Il faut faire la part de l'injonction - liée aux débats concernant un marché du travail plus flexible - et de la réalité. Durant les vingt dernières années, on ne constate pas de changement immédiatement perceptible quant à l'ampleur des mobilités interentreprises et quant à celle des mobilités professionnelles proprement dites. Cela dit, on s'aperçoit que la mobilité est extrêmement sensible à la conjoncture économique. Quand le chômage diminue, les gens sont plus mobiles volontairement. On constate également que l'ancienneté perd de sa valeur à l'intérieur d'une entreprise. Toutes les études convergent pour montrer qu'il n'est plus aussi avantageux que par le passé de faire carrière dans une entreprise - les progressions de salaire sont limitées - même si ce modèle reste encore important.

On voit émerger, aussi, pour certaines professions et pour des gens plutôt qualifiés, une grande mobilité sur le marché. On appelle cela des "marchés professionnels" : il s'agit de personnes très demandées parce qu'elles ont des compétences ou une expertise très recherchée.

Pour résumer, s'il fallait parler d'évolution globale, je dirais qu'il y a plus de diversité des trajectoires. Coexistent aussi bien le vieux modèle de carrière dans l'entreprise, des choses tout à fait contradictoires avec ce vieux modèle et, enfin, toutes sortes de situations intermédiaires. Mais il est assez peu probable que tout cela converge vers un modèle unique.

E & C : Les jeunes générations sont-elles plus tentées par la mobilité ?

J.-F. G. : On voit apparaître un phénomène nouveau : arrêter ses études en envisageant de les reprendre un jour. La zone frontière entre les études et l'emploi devient plus large, on revient vers les études ou on combine formation et emploi pour acquérir une spécialité professionnelle ou se reconvertir. La formation est un point d'appui pour la mobilité. Une étude que nous avons menée auprès de plusieurs milliers d'auditeurs du Conservatoire national des arts et métiers confirme cette tendance : nous n'avons plus à faire à une population stable, recherchant une promotion sociale dans son entreprise et ayant un horizon de formation très long, mais à des personnes cherchant à se reconvertir ou à progresser pour, justement, être mobiles. Leur horizon de formation est très court, trois ans au maximum. Il s'agit là d'un comportement d'adaptation au marché qui consiste à saisir les opportunités en se gardant un portefeuille de choix constamment ouvert, plutôt que d'avoir un projet très précis qui, lui, au contraire, consiste à restreindre les choix. Notons qu'il s'agit de s'adapter au marché, pas à son entreprise : de plus en plus, les intérêts des salariés, en termes de formation et de projet professionnel, ne coïncident pas avec ceux de leur entreprise. Une partie non négligeable de la population décide donc de sa formation sans en informer l'entreprise. Ce phénomène est courant aux Etats-Unis.

On peut d'ailleurs se rendre compte de l'évolution du marché du travail en lisant les romans policiers américains : les gens y ont des trajectoires professionnelles très diversifiées et suivent des cours du soir, ce qui paraît ringard en France !

E & C : L'évolution de l'emploi et de la démographie va-t-elle influer sur les mobilités professionnelles ?

J.-F. G. : C'est tout à fait possible. Les vagues de départs à la retraite peuvent être en partie remplacées par des jeunes, ou permettre à des gens qui sont en situation précaire de se stabiliser. Mais elles peuvent aussi donner lieu à une accélération des mobilités. On l'a vu, quand le nombre d'offres d'emploi augmente, les gens se mettent à bouger. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a une réserve de mobilité encore importante. On a connu de très longues années de conjoncture très difficile, certes avec un mieux à la fin des années 80 et à la fin des années 90, mais la proportion de gens qui souhaitent changer d'entreprise a plutôt augmenté parce que la mobilité a été limitée par la situation économique. Si la situation s'améliore durablement, il y a un potentiel de personnes disposées à bouger parce qu'elles en ont tout simplement assez de l'entreprise dans laquelle elles travaillent. Cela va poser des problèmes aux entreprises qui se sont habituées à obtenir du personnel très qualifié à des niveaux de rémunération parfois faibles.

SES LECTURES

Des marchés du travail équitables ? Approche comparative France-Royaume-Uni, C. Bessy, F. Eymard-Duvernay, G. de Larquier, E. Marchal. Pie-Peter Lang. Bruxelles.

Les romans policiers de Michael Connelly, éditions du Seuil.

PARCOURS

Après avoir occupé des fonctions de chercheur au CNRS, Jean-François Germe a été directeur scientifique du Cereq (Centre d'études et de recherches sur les qualifications) et directeur des études du Cnam. Il est aujourd'hui directeur du Centre d'études de l'emploi (CEE). Professeur des universités en économie au Cnam, il dirige également l'école doctorale Entreprise, travail, emploi.

Expert et chercheur, Jean-François Germe participe aux travaux de divers organismes, parmi lesquels le Commissariat général du Plan où il anime l'atelier "Mobilités professionnelles" du Groupe de prospective des métiers.