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« Les femmes peuvent changer la place du travail dans la vie »

SANS | publié le : 23.04.2002 |

L'accès à l'égalité professionnelle des hommes et des femmes se fera à la fois par des évolutions dans la sphère privée, l'organisation du travail et des politiques volontaristes. Enjeu : la société, qui, si elle ne reconnaît pas la valeur des tâches dites "non productives", risque d'en payer le coût social.

E & C : Les femmes représentent 45 % des actifs en France. La société s'est-elle adaptée à cette réalité ? Pourquoi ?

Dominique Méda : Aujourd'hui, les femmes assument tous les rôles : elles travaillent quasiment autant que les hommes, continuent à avoir des enfants, veulent leur consacrer du temps et assument les tâches domestiques. Or, cette manière de jongler avec les différents temps est de plus en plus difficile. Les pouvoirs publics n'ont jamais fait de l'accueil et de la garde des jeunes enfants un sujet de premier plan. Les entreprises en sont restées à une norme de travail qui ne peut pas permettre une vraie conciliation des temps de travail et de hors travail pour les hommes et les femmes. Les hommes, enfin, n'ont pas revu leur rythme de travail pour assurer une meilleure articulation avec le temps privé.

E & C : Comment les choses peuvent-elles changer ?

D. M. : Il faut à la fois déspécialiser les rôles et réorganiser en profondeur l'ensemble des institutions de la société et du travail autour de cette question. Prendre des mesures sur la seule sphère professionnelle ne permettra pas, à mon avis, d'éradiquer les inégalités. Il y a un volume incompressible de travail domestique et de soins aux enfants que la société doit assurer, pour son bien-être même. Toutes les études montrent qu'une grande partie des inégalités professionnelles ou des différences d'accès au marché du travail et aux responsabilités vient du fait que les femmes - et notamment les femmes les moins diplômées - supportent seules la majeure partie des tâches et des préoccupations qui découlent de la présence d'enfants, notamment lorsqu'ils sont petits (au moment même où les femmes accèdent au marché du travail). Cela n'est pas admissible, surtout dès lors que les femmes font, aujourd'hui, autant d'études que les hommes et veulent pouvoir avoir les moyens de leur indépendance financière et professionnelle.

Les pays du Nord, en particulier le Danemark, la Suède et la Finlande, proposent un modèle dont nous devrions nous inspirer. Au moment des débats sur l'égalité entre hommes et femmes, dans les années 70, les féministes ont proposé de repenser les droits et les devoirs des hommes et des femmes en tant qu'êtres humain ayant plusieurs rôles : parent, travailleur, citoyen. Le droit au plein emploi pour les hommes et les femmes nécessitait, disaient-elles, la prise en charge par les hommes d'une partie des soins aux enfants et des tâches domestiques. Ce qui est intéressant, c'est que, cela ayant été dit, la société s'est, en effet, radicalement adaptée : suppression de l'imposition commune, révision de la grille des salaires, congés de paternité et de petite maladie réservés aux pères (le congé parental rémunéré est accessible au père comme à la mère, un droit à congés pour enfant malade est ouvert pour les hommes et les femmes, le père a droit à un congé de paternité de dix jours au moment de la naissance de l'enfant).

E & C : La France et d'autres pays d'Europe sont-ils prêts à mettre en place ces réformes ?

D. M. : Quelques avancées se sont produites récemment, en France, comme la mise en place d'un congé de paternité de quatorze jours ou la RTT, qui permet d'améliorer la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, pour les hommes et les femmes ayant de jeunes enfants. Il faut que la société, par l'intermédiaire des lois, montre qu'elle promeut un modèle où hommes et femmes peuvent s'investir également sur le marché du travail et dans la vie familiale. L'Europe constitue aussi un cadre et une occasion exceptionnels pour faire avancer l'égalité hommes-femmes. Le Conseil des ministres de l'Emploi et de la Politique sociale, du 29 juin 2000, a, ainsi, publié une résolution très importante : elle indique que si les femmes ont un handicap vis-à-vis du travail, les hommes ont un handicap par rapport à leur implication dans la vie familiale et qu'il faut traiter ces deux volets en même temps, par des aménagements horaires et des congés, en fait, par une nouvelle organisation du temps de travail promouvant une norme de travail plus courte pour les hommes et les femmes. Pour la première fois, un texte reconnaît une valeur au temps consacré à la parentalité, aux tâches de soin, à l'affection, à l'éducation. Un temps qui, pour n'être pas productif au sens classique du terme, n'en est pas moins essentiel pour l'équilibre et le développement de nos sociétés.

E & C : Que gagneraient les entreprises à un rééquilibrage des rôles hommes-femmes ?

D. M. : Elles y gagneraient une meilleure utilisation des compétences disponibles. Mais cela implique de revoir le mythe de la disponibilité absolue, en vigueur dans le privé comme dans la fonction publique. Il faut revoir très en profondeur l'organisation du travail, comme certaines entreprises l'ont fait pour mettre en place la RTT. Les femmes, et de plus en plus de jeunes hommes, ont des revendications d'équilibre très fortes. Je pense que leur pression obligera les entreprises à se remodeler et changera le travail, au bénéfice des hommes et des femmes.

SES LECTURES

Dames du XIIe siècle, Eve et les prêtres, Jacques Le Goff, Ed. Gallimard, 1996.

La société du risque, Ulrich Beck, Ed. Aubier, 2001.

Il faut défendre la société, Michel Foucault (cours au Collège de France, 1976), Ed. Seuil, 1997.

PARCOURS

Philosophe, ancienne élève de l'Ecole normale supérieure et de l'ENA, Dominique Méda est l'auteur de plusieurs ouvrages : Le travail, une valeur en voie de disparition (1995), Qu'est-ce que la richesse ? (1999) et Le temps des femmes. Pour un nouveau partage des rôles (2001), trois ouvrages réédités par Champs-Flammarion.

Elle est également coauteur de Trente-cinq heures : le temps du bilan, Desclée de Brouwer, 2001.