Content de tout.

De son entreprise, de son comité de direction, de son plan stratégique, de sa nouvelle usine, de ses équipes, de ses résultats, de la vie qui passe, de sa femme, sûrement, et peut-être même de son chien ?

Content de lui, surtout.

De son job, de sa réussite, de sa voiture de fonction, de ses activités bénévoles (« j'en ai besoin, et je leur apporte beaucoup ». Sic).

Heureux ? Très bien. Et les autres ?

« Quels autres ? Si vous voulez parler de mes équipes dans l'entreprise, alors là, vous tombez bien ! Depuis des années, nous mettons en place des plans personnels de progression pour tout le monde. Tout le monde, vous avez bien entendu. Et nous dépensons un argent fou pour leur permettre de s'adapter en permanence aux contraintes nouvelles qui nous tombent dessus. Alors, hein, si quelqu'un est enthousiaste, c'est bien moi ! Demandez-leur. Interrogez, vous verrez. Mais franchement, je vous le dis d'avance : ici, l'homme est au coeur de l'entreprise, en cible prioritaire de nos énergies ! »

Cible prioritaire de nos énergies ?

Tiens, voilà du nouveau ; de mon temps, on mettait le client au coeur de tout, la pyramide inversée posée dessus. (Content, le client. Même inversée, ça reste lourd, une pyramide...)

Allons donc rencontrer les "cibles prioritaires", pour voir.

Pas besoin d'en rencontrer cinquante, finalement.

Au bout de cinq entretiens un peu longs, une vérité se dessine, comme le fond de l'eau quand la surface se calme : j'ai en réalité à faire à un intégriste de l'entreprise, un taliban de la performance, un Stakanov de la part de marché : toujours là le premier, investi dans tous les dossiers, il conduit son monde comme Murat à la Moskova (6 chevaux tués sous lui. Bon score), et rayonne du plaisir d'agir. De s'agiter serait plus exact.

Je lui en parle.

« Bon sang, mais vous n'allez quand même pas critiquer l'enthousiasme et le dynamisme ? J'ai toujours aimé ça ! Et, franchement, je suis sûr que c'est contagieux. Non ?»

Puisqu'il veut mon avis, je le donne : non, ce type d'enthousiasme ne peut pas être contagieux. Il est méprisant pour tous ceux, les plus nombreux, qui ne sont pas en train de réaliser un rêve d'enfant. Seulement obligés de travailler pour nourrir leur famille. Pour moi, l'efficacité du management passe par la lucidité sur la réalité des appétits de travail et le respect des difficultés à s'y investir.

Définitivement, sautiller gaiement tous ensemble pour créer de la Valeur n'est pas mon truc...