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La cour d'appel de Grenoble fait des émules

SANS | publié le : 19.03.2002 |

Légalisée voici sept ans, la médiation dans les conflits individuels du travail sort peu à peu de la confidentialité. Mais sa mise en pratique dépend largement de la personnalité des acteurs, juges d'appel ou avocats.

Instauré par la loi du 8 février 1995, le recours à la médiation pour les contentieux qui n'ont pas trouvé d'issue devant les Prud'hommes (appel de l'une ou l'autre des parties) présente de multiples avantages : le justiciable y trouve une réparation psychologique, voire une solution inenvisageable autrement : à Grenoble, un salarié est ainsi devenu sous-traitant de son précédent employeur, un autre a racheté l'entreprise...

Dans tous les cas, le justiciable réalise une économie de temps et d'argent. Une médiation coûte 530 euros au total, que les parties s'entendent pour partager à la hauteur de leurs ressources. Enfin, l'homologation de la décision peut intervenir sous trois mois, tandis qu'il faut compter 2,5 ans en moyenne pour un jugement en appel.

Des accords dans 63 % des cas

Pour autant, la chambre sociale de la Cour d'appel de Grenoble est la seule en France à avoir institutionnalisé cette pratique. Depuis 1998, la cour a proposé un millier de médiations, en a ordonné 464, après décision préalable des parties, et a homologué les accords dans 63 % des cas. Le développement de ce recours judiciaire tient surtout à l'engagement de Béatrice Blohorn-Brenneur. Ancienne conseillère référendaire à la Cour de cassation, elle a pris, en 1994, la présidence de la chambre sociale grenobloise. « 20 % du contentieux social provient d'un conflit humain, explique-t-elle. A l'audience, la personne vient avec sa souffrance, qu'il faut traduire en termes juridiques. Or, tout le vocabulaire et la culture judiciaires sont tournés vers la guerre. J'ai choisi de rechercher la pacification. »

Affaires "médiables"

Désormais, d'autres tribunaux lui emboîtent le pas, notamment à Paris et à Toulouse. Mais attention: « Toutes les affaires ne sont pas "médiables" », avertit Nicole Roger, présidente de la chambre sociale de Toulouse, notamment « lorsque les procès contre une entreprise s'étendent sur toute la France ». Sont en revanche "éligibles" les contentieux qui impliquent un salarié avec an- cienneté, ou un lien familial avec l'employeur, ou encore un reclassement suite à un handicap... Bref, « une affaire prud'homale qui cache un conflit plus large », résume Alain Fessler, avocat et médiateur à Grenoble.

Une organisation lourde

Autre exigence, qui peut faire obstacle au développement du dispositif : « Il faut toujours personnaliser une proposition de médiation, à l'audience puis par écrit, ce qui suppose ici une organisation lourde, explique Jacques Clavière-Schiele, magistrat à la Cour d'appel de Paris et coordinateur médiation des huit chambres sociales. Nous n'avons pas, contrairement à Grenoble, la même proximité avec les avocats spécialisés et les conseils prud'homaux. »

De fait, Béatrice Blohorn-Brenneur a constitué un réseau de 35 médiateurs. Elle a également pris l'initiative, depuis janvier 2000, de convoquer une fois par mois, par groupe de 80, les justiciables en audience de "sensibilisation". Elle leur explique ce qu'est la médiation sociale, avant de la proposer individuellement. Dans la salle, trois médiateurs sont présents. Libre aux parties de venir les solliciter pour un complément d'information, qui sera donné à l'écart de l'audience. « Il est arrivé que cet échange se transforme en médiation imprévue et qu'en deux heures, on arrive à un accord », souligne Alain Gille-Naves, chef d'entreprise et médiateur à Grenoble.

Une implication des avocats

L'essor de la médiation tient également beaucoup à l'implication des avocats. Comme conseillers, d'une part : « C'est d'abord vers nous que la personne se tourne pour savoir si la médiation est utile », précise Me Alain Fessler. Et comme médiateurs, d'autre part: « Il faut faire le deuil de ses valeurs et s'interdire d'être partisan. Mais nous sommes formés pour cela. » Un enseignement que la plupart des intervenants grenoblois paient de leur poche (230 euros en moyenne). Le ministère de la Justice s'en tient surtout au financement des études et des colloques sur la médiation sociale, sans s'engager sur la formation des acteurs : « La dernière loi de finances n'a rien prévu à ce sujet », regrette, pour sa part, Béatrice Blohorn-Brenneur, qui pourtant « ne désigne que des médiateurs formés ».

REPERES

La médiation sociale

Le recours à la médiation sociale existe depuis les années 70 pour les conflits collectifs, mais son application aux litiges individuels date de la loi du 8 février 1995, inscrite à l'article 131-1 du nouveau code de procédure civile. Ce texte permet au juge de proposer aux parties d'élaborer elles-mêmes une solution, avec l'aide d'un médiateur désigné par la Cour. Il appartient à cette tierce personne, le plus souvent un conseiller prud'homal ou un avocat désignés intuitu personae, de restaurer le dialogue.