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« La responsabilité sociale est l'affaire de tous »

SANS | publié le : 05.03.2002 |

L'opinion publique et les salariés ont plus que jamais en ligne de mire le comportement des entreprises. Le libéralisme n'exclut plus le partage des richesses. Mais, sur le terrain de l'éthique et du développement durable, les entreprises ne doivent pas être considérées comme seules responsables.

E & C : Quelle est votre définition d'une entreprise socialement responsable ?

Claude Bébéar : Il s'agit d'une entreprise consciente de ses responsabilités à l'égard de ses clients, de son personnel et de ses investisseurs... mais aussi de ses devoirs vis-à-vis de l'environnement dans lequel elle se développe : qualité environnementale, performance sociale, respect d'une éthique, etc.

E & C : L'idée de la responsabilité sociale des entreprises est-elle nouvelle ?

C. B. : Pas vraiment. Déjà au xixe siècle, on pouvait en percevoir quelques signes. On parlait alors de paternalisme : le chef d'entreprise avait une conception patriarcale de son rôle, en particulier envers ses ouvriers. Bien plus tard, le concept d'entreprise "citoyenne" a vu le jour. Mais cette notion a été occultée, dans les années 1990, par l'importance prise par les problèmes financiers des entreprises. Quant à la question de la protection de l'environnement, de nombreuses entreprises, actives dans les pays développés comme dans les pays en développement, n'ont pas attendu les ONG pour s'en préoccuper.

E & C : Quels sont les obstacles pour qu'elles s'engagent sur cette voie ?

C. B. : En ce qui concerne les relations sociales dans l'entreprise, les obstacles sont d'abord d'ordre culturel. Les notions de hiérarchie et de subordination, encore vivaces dans nombre d'entreprises, écartent toute idée de démocratie interne. Donner la parole au plus grand nombre choque encore et l'éternelle dialectique marxiste "capital contre travail" est entretenue par la notion de salaire fixe, indépendant des résultats de l'entreprise. Il faudrait au contraire lier le plus possible les intérêts des salariés à ceux de l'entreprise. Peu l'admettent, aussi bien chez les employés que chez les employeurs.

E & C : La mise en place de labels, de normes ou de codes de conduite pourrait-elle être une solution ?

C. B. : Les labels et les normes peuvent être d'intéressants outils de mesure, mais ils demeurent insuffisants. Il suffit de se pencher sur le cas récent d'Enron.

Cette entreprise a cumulé, et pendant des années, les avis favorables et les labels en tous genres. On disait d'elle qu'elle était une entreprise remarquablement engagée dans le développement durable.

Le scandale de sa déconfiture montre qu'il est indispensable d'établir une surveillance continue pour confronter les discours aux faits.

E & C : L'engagement social doit-il être de l'ordre de l'initiative individuelle ou d'un cadre réglementaire ?

C. B. : Je préfère de loin l'action collective de groupe à un cadre réglementaire centralisé, car elle est à la fois plus souple et évolue avec les mentalités. Autrement dit, j'estime la pression de l'opinion publique plus salutaire que les réglementations qui découlent souvent de motivations émotionnelles ou idéologiques qui introduisent de nouvelles rigidités.

Il vaut mieux envisager de fixer un cadre, une ligne générale d'action. Dans ce contexte, les syndicats, les patrons d'entreprise, les ONG, les fonds éthiques ont un rôle majeur à jouer pour influencer le comportement de l'entreprise et de l'Etat. En réalité, ces comportements symbolisent la notion de civisme. Nos sociétés souffrent d'un manque patent d'esprit civique et ce déficit influe positivement ou négativement sur l'entreprise. On ne peut exiger d'une entreprise une rigueur absolue quand cette dernière fait défaut dans la société. La responsabilité sociale des entreprises passe aussi par la responsabilité citoyenne.

E & C : Les initiatives des entreprises peuvent-elles être une parade aux carences législatives de certains pays, en particulier en ce qui concerne le droit du travail ?

C. B. : En voulant tout uniformiser et imposer nos standards "occidentaux", on croit agir positivement, mais c'est souvent le contraire qui se produit. Il faut s'adapter au contexte, à la civilisation dans lesquels on évolue. Et si l'on est persuadé du bien-fondé de certains changements, il faut être attentif à les engager progressivement, afin qu'ils prouvent leur efficacité. Je pense, par exemple, au travail des enfants : il existe dans plusieurs pays comme il existe encore chez nous, dans les campagnes notamment. L'interdire uniformément est un non-sens, tant certaines traditions culturelles ou religieuses associent les enfants dans les forces vives. Leur exploitation est évidemment à bannir et à sanctionner, ce qui est sensiblement différent. Un important effort de sensibilisation est donc primordial avant de passe à l'acte, et seuls des acteurs du terrain, compétents et considérés, sont à même d'accompagner ces changements.

SES LECTURES

Entretiens, Georges Steiner, Edition 1O/18.2000.

Le choc de civilisation, Samuel P. Huntington, Edition Odile Jacob 1997.

Papa est au Panthéon, Alix de Saint-André, Collection Blanche, Gallimard, 2001.

PARCOURS

A 66 ans, Claude Bébéar cumule les responsabilités en occupant les fonctions de président du conseil de surveillance d'Axa et d'administrateur de Schneider Electric SA et de BNP Paribas.

Ce diplômé de Polytechnique s'est engagé, depuis 1986, dans la mise en place d'une dynamique autour des stratégies de responsabilité sociale dans le cadre de l'Institut du mécénat de solidarité (IMS) dont il est président-fondateur. Fin 2000, il a créé l'institut Montaigne, un espace de réflexion, s'annonçant libre et indépendant de toute contrainte, politique ou économique, qui réunit grands patrons d'entreprise, universitaires et différents représentants de la société civile.