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La mondialisation a créé de nouveaux acteurs sociaux

SANS | publié le : 05.02.2002 |

Le "tabou de la mondialisation" conduit à des positions crispées des partenaires sociaux. Réfléchir à un système collectif de garanties adapté à notre époque est un impératif. Mais les changements pourraient venir de nouveaux acteurs extérieurs à l'entreprise.

E & C. En quoi la difficulté à penser la mondialisation pose-t-elle des problèmes de régulation sociale ?

Pierre-Eric Tixier : Une société mondialisée est une société où les restructurations sont fréquentes. Cela se traduit par des suppressions d'emploi d'un côté et par des créations d'emploi de l'autre et, dans tous les cas, par une instabilité de la relation. Le problème, c'est que le système de garanties collectives français est adapté à la période antérieure où la mobilité était plus faible. On ne veut pas réfléchir, en France, à ce que pourrait être un système collectif de garanties adaptées à une société où les phénomènes sociaux sont structurés par la mondialisation. Le politique fait comme s'il voulait nous protéger sans en avoir les moyens, quant aux acteurs du dialogue social, ils sont plus éloignés aujourd'hui les uns des autres qu'il y a six ans. Nous avons connu un grand mouvement social en décembre 1995, qui aurait pu être l'occasion de repenser les régulations sociales, comme après Mai 1968. Mais on n'a pas utilisé cette opportunité historique - une crise sociale et une période de croissance relativement forte qui l'a suivie - pour refonder les compromis sociaux. On se retrouve aujourd'hui avec le demi-succès de la refondation, avec nombre de questions pendantes non traitées (retraite, Sécurité sociale, réforme de l'Etat...), des acteurs syndicaux affaiblis et un patronat qui confond souvent provocation et pédagogie, et tend à sédimenter et à justifier les oppositions.

E & C : La montée du syndicalisme radical dans les entreprises est-elle un signe de cette panne de réflexion et d'absence de dialogue social ?

P.-E. T. : On assiste en effet au développement d'une mouvance syndicale qui s'explique à la fois par l'incapacité des acteurs institutionnels à gérer les effets de la mondialisation et par la tradition contestataire française. Sud, par exemple, n'est plus un phénomène limité au secteur public. Ce syndicat s'implante aussi dans le secteur privé. Mais il est le produit d'une phase historique dominée par la peur du changement.

J'ai l'impression que, si du côté du politique et de l'Etat, les choix, notamment européens, étaient assumés plus clairement avec l'invention de garanties collectives adaptées, ce phénomène se dégonflerait.

Ce qui me paraît à la fois aussi significatif et plus inquiétant pour les entreprises, c'est l'éloignement des cadres de leurs directions. Cette catégorie, fortement touchée dans les années 1990-2000 (l'ancien échange "loyauté = garantie de l'emploi" n'a pas tenu devant les restructurations), se vit maintenant comme une catégorie comme les autres. Au xixe siècle, on a pensé "classe ouvrière = classe dangereuse". Aujourd'hui, face à des processus de mondialisation qui ne sont pas gérés politiquement et qui laissent chacun face à son destin, on peut dire "classe moyenne = classe inquiète".

Si les entreprises n'expliquent pas plus leur politique, les raisons qui mènent aux restructurations, si l'on n'invente pas de nouvelles garanties collectives, qui sont un des ressorts majeurs de la motivation sociale, ce phénomène d'éloignement va s'accentuer.

E & C : Comment un nouveau modèle de régulation sociale pourrait-il émerger ?

P.-E. T. : La grande transformation à laquelle on assiste, c'est la redéfinition des rapports entre l'entreprise et la société. La séparation entre l'entreprise comme communauté, d'un côté, et la société, de l'autre, est dépassée. Aujourd'hui, on observe une recomposition des espaces entre l'interne et l'externe. La mondialisation a fait émerger, depuis dix ans, de nouveaux acteurs plus mobiles que les syndicats : associations de consommateurs, de défense de l'environnement, Attac, etc. Ces groupes ont des intérêts qui ne se jouent pas uniquement par rapport à l'emploi et au travail et qui rentrent en débat avec l'entreprise.

Ce débat prend une importance plus forte dans la stratégie des groupes aujourd'hui, avec des indicateurs sociétaux qui n'existaient pas auparavant et qui sont maintenant en passe de structurer les comportements des grandes entreprises. Je crois que c'est du côté de ces nouveaux acteurs et de leur dialogue avec l'entreprise que de nouveaux enjeux collectifs peuvent surgir, porteurs de régulation sociale.

SES LECTURES

Agir dans un monde incertain, de Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Ed. du Seuil, 2001.

Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Robert Castel, Claudine Haroche, Fayard, 2001.

Re-creating Corporation, Russel L.Ackoff, Oxford University Press, 1999.

PARCOURS

Sociologue, spécialiste des problèmes de régulation sociale, Pierre-Eric Tixier est chercheur au Centre de sociologie des organisations de la Fondation nationale des sciences politiques et professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris.

Conseiller scientifique d'Entreprise & Personnel, il intervient sur les questions des relations sociales et de stratégies de changement auprès de grandes entreprises.

Publié sous sa direction, Du monopole au marché-les stratégies de modernisation des entreprises publiques paraîtra en mars prochain aux éditions La Découverte. Il prépare, avec trois chercheurs en sciences sociales et en gestion (Michael Maccoby, Charles Hecksher, Rafael Ramirez), un ouvrage sur les relations post-industrielles qui paraîtra aux Etats-Unis à la fin de l'année.