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UNE LOI POUR RIEN ?

SANS | publié le : 22.01.2002 |

En censurant la définition du licenciement économique de la loi de modernisation sociale, le Conseil constitutionnel se fait l'écho du mécontentement général qui avait accueilli le texte. Cependant, l'essentiel de la nouvelle législation demeure, mais ne fait pas non plus l'unanimité.

Une loi hors sujet », « complexe », « improvisée », « archaïque », « politicienne », « un carcan procédural », « un piège pour les salariés », « un marché de dupes », « une ineptie », « un désastre »... Ce florilège de doux noms, donnés à la nouvelle législation sur les licenciements économiques, émane aussi bien de patrons que de syndicalistes, d'avocats, de consultants, de DRH.

Depuis son vote, le 19 décembre dernier, la loi de modernisation sociale (LMS) fait l'unanimité contre elle dans la sphère sociale. Et la première cible était justement la nouvelle définition du licenciement économique. « D'après la nouvelle loi, tempêtait ainsi Me Henri-José Legrand, avocat en droit social, le licenciement n'est plus légitime que lorsque l'entreprise est au bord du gouffre. » Or, « que fera l'entreprise qui n'est pas dans un cas prévu par la loi ? Elle licenciera quand même et cela engendrera une multiplication des prud'hommes », prédisait sa consoeur Me Yasmine Tarasewicz, responsable du département droit social du cabinet d'avocats d'origine américaine Proskauer Rose.

Interprétations juridiques

Une analyse partagée par Annie Thomas, secrétaire nationale de la CFDT : « La définition, trop compliquée, va donner lieu à des interprétations juridiques. Par ailleurs, en restreignant la définition du licenciement économique, on restreint forcément le nombre de bénéficiaires : ceux qui seront concernés par un plan social seront mieux protégés, mais beaucoup moins nombreux. Les entreprises préféreront multiplier les CDD et les licenciements individuels. » Sur ce point, au moins, les voilà rassurés. En retoquant l'article 107 de la LMS, le Conseil constitutionnel renvoie à l'actuel article L. 321-1 du Code du travail et à la jurisprudence qui en a découlé. Mais dans le même temps, il valide toutes les autres dispositions de la loi. Qui ne font pas, loin de là, que des heureux.

Les circonstances mêmes de l'élaboration du texte ont concentré les critiques. « Il s'agit d'une loi électorale : on a acheté le soutien du PC au PS », analyse Yasmine Tarasewicz.

« L'émotion est mauvaise conseillère », avertissaient, quant à eux, les 56 patrons signataires du manifeste du 24 octobre dernier contre le projet de loi de modernisation sociale. Son volet anti-licenciement résulte, en effet, largement des amendements déposés au printemps dernier par la ministre de l'Emploi, Elisabeth Guigou, en réponse aux médiatiques annonces de restructuration chez Danone et Marks & Spencer. Même Jean-Pierre Aubert, chargé par le Premier ministre d'une mission sur l'action publique face aux mutations économiques, reste dubitatif sur l'opportunité de légiférer en la matière : « Je crois qu'il y avait d'autres moyens que la loi pour améliorer les pratiques en matière d'accompagnement des restructurations. D'autant plus que le texte était un peu improvisé... »

Manque de consultations

Quant aux partenaires sociaux, ils sont furieux de ne pas avoir été consultés pour la rédaction d'un texte qu'ils auront ensuite à mettre en oeuvre sur le terrain : « Ni l'Assemblée, ni le gouvernement n'ont daigné nous auditionner, fulmine Annie Thomas. Seul le Sénat l'a fait ! »

Ils ont d'ailleurs tous refusé de participer, le 14 janvier dernier, à la première réunion de préparation des décrets d'application, à laquelle les avait conviés Elisabeth Guigou. Egalement victime des lazzis, l'allongement des procédures, lié à la dissociation des consultations livre IV et livre III et à la création d'un nouvel acteur, le médiateur.

Jeu de l'oie

La durée s'écoulant entre l'annonce de la restructuration et les premières ruptures de contrats pourrait atteindre 500 jours, d'après le calcul de Jacques Bertherat, ancien DRH de Saint-Gobain céramiques industrielles et président de Développement & Emploi. « C'est un véritable jeu de l'oie, estime le délégué général de l'association, Dominique Thierry : il faut attendre trois tours, revenir deux cases en arrière... Or, complexifier les procédures et favoriser la judiciarisation des restructurations n'évitera aucun licenciement et ne permettra pas de meilleurs reclassements. » Ce dernier, à l'instar de nombreux acteurs, pense d'ailleurs que les risques de délocalisation et de découragement de l'investissement étranger sont réels et ne relèvent pas uniquement d'un chantage patronal.

Même la CGT ne se satisfait pas de cette partie du texte, qui accorde pourtant de nouveaux droits aux partenaires sociaux : « Malgré le médiateur, malgré le droit d'opposition, c'est l'employeur qui garde toujours toutes ses prérogatives », regrette Jacques Tord, con- seiller confédéral en charge de l'emploi.

En outre, en se concentrant sur les licenciements collectifs, la loi oublie la majorité des licenciements économiques, qui sont le fait de petites entreprises. « Alors que, souligne Dominique Thierry, lors de mes contacts avec les partenaires sociaux, j'ai observé que leur préoccupation majeure est justement l'iniquité de traitement entre les salariés des grandes entreprises et ceux des PME. »

Des pratiques déjà courantes

Le dernier reproche, enfin, vise le contenu du plan social, devenu "plan de sauvegarde de l'emploi". La loi, assurent, en effet, les spécialistes, ne va pas plus loin que les pratiques déjà mises en oeuvre par les entreprises qui en ont les moyens. Ainsi, comme l'explique Jean-Louis Tardy, directeur du cabinet Garon-Bonvalot à Annecy (74), « certaines DDTEFP recommandent déjà fortement, depuis plus d'un an, la mise en place de congés de reclassement.

On n'échappait pas non plus aux aspects de réindustrialisation : le préfet demandait déjà à l'entreprise de cotiser à un fonds local pour l'emploi ou de faire appel aux services d'une entreprise spécialisée. » Et en gravant ces obligations dans le marbre, la loi n'encouragera pas les partenaires sociaux à négocier des mesures encore plus avantageuses.

L'essentiel

1 Depuis son adoption, le volet anti-licenciement de la loi de modernisation sociale fait l'objet d'une grogne généralisée. Les critiques visaient tout particulièrement la définition du licenciement économique.

2 L'annulation de cet article par le Conseil constitutionnel est applaudie. Mais le reste de la législation, qui demeure inchangé, est également loin de faire l'unanimité.

3 Les circonstances de l'élaboration du texte, l'allongement des procédures et l'absence de dispositions sur les licenciements dans les PME sont ainsi fustigés.

4 Quant au contenu du "Plan de sauvegarde de l'emploi", il n'apporte guère de nouveautés par rapport aux pratiques déjà mises en oeuvre par les entreprises qui en ont les moyens.