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"L'implication des salariés va devenir un enjeu majeur"

SANS | publié le : 22.01.2002 |

Les nouvelles organisations du travail et la montée des métiers du service nécessitent un plus grand engagement des salariés. Favoriser leur implication deviendra une question de survie pour les entreprises.

E & C : L'implication des salariés est-elle nécessaire au bon fonctionnement de l'entreprise ?

Maurice Thévenet : Soyons francs : pas toujours. Certains jobs peuvent s'exercer de manière très efficace sans nécessiter un engagement de la part des salariés. Par contre, dans de nombreux emplois, la perception que le client se fait de ce pour quoi il paie dépend souvent de la relation qu'il a avec quelqu'un. Quand vous entrez dans une boutique, la relation que vous avez avec la vendeuse est fortement déterminante de votre achat ou non. Ces situations propres à la vente se retrouvent de plus en plus dans les situations de service. Dans ce cas, l'entreprise, qu'elle le veuille ou non, est bien dépendante de la manière dont la personne utilise sa liberté pour se comporter vis-à-vis d'un client d'une manière ou d'une autre.

L'implication, c'est savoir dépasser ses soucis personnels légitimes pour s'investir, donner de soi-même à ce que l'on fait. L'implication est donc nécessaire quand l'entreprise dépend du salarié pour atteindre un résultat.

Les nouvelles organisations du travail rendent aussi l'implication nécessaire. La réduction des niveaux hiérarchiques exige que les gens soient plus responsables. Les fameuses organisations matricielles font que, par construction, toute personne se trouve à certains moments en situation de conflit entre des relations hiérarchiques multiples et de natures différentes. A quelle condition peut-elle dépasser ce conflit ? A la condition qu'elle prenne sur elle pour faire ce dépassement. Là encore, l'entreprise a besoin de l'implication de la personne.

E & C : Les évolutions du travail vont-elles rendre les entreprises de plus en plus dépendantes de l'engagement de leurs salariés ?

M. T. : Les grandes sources d'emploi, demain, se situeront dans le soin, le social et la sécurité : des secteurs qui dépendent totalement de l'implication des gens. Dans quelle mesure irai-je me soigner ici plutôt qu'ailleurs quand j'aurai 80 ans ? Cela ne tiendra pas seulement au professionnalisme technique des gens qui me soigneront et à mon budget. Cela dépendra de choses très personnelles, qui sont de l'ordre de la relation.

Autre évolution : ce que les économistes appellent "l'économie de l'expérience". On n'achètera plus seulement de la prestation de service, on achètera une expérience. On paiera pour avoir vécu quelque chose. Le meilleur exemple, c'est Disneyland. Mais de qui dépend ce que vous avez vécu ? Certes, il y a la qualité des attractions mais surtout le comportement de tous les employés - à la parade, à la boutique, à la file d'attente - qui l'ont joué "à la Disney". On voit déjà cette évolution à l'oeuvre dans certaines formes de distribution, dans la restauration.

Enfin, le grand bouleversement démographique qui nous attend va créer une tension sur certains marchés (services, sécurité, soins...). Le déséquilibre des populations va faire monter les enchères. Les entreprises devront alors créer et développer de l'implication. Cela deviendra un enjeu majeur.

E & C : Comment les entreprises peuvent-elles favoriser l'implication ?

M. T. : Il faut d'abord souligner que l'idée de s'impliquer dans une entreprise n'est pas très "tendance". Les politiques des entreprises qui font des ressources humaines des variables d'ajustement ont refroidi l'enthousiasme des salariés. Par ailleurs, il y a un discours généralisé autour des 35 heures qui n'est pas valorisant pour le travail puisque travailler moins, c'est forcément mieux.

La carte à jouer par les entreprises est celle du développement personnel. Toute la question du travail devient : est-ce que ce lieu peut devenir un lieu pour la personne et le développement personnel ? Cela deviendra la question centrale des gestionnaires des ressources humaines qui devront notamment penser la notion de travail/hors travail car tous les salariés expriment la difficulté de concilier les deux. Il est impossible d'impliquer les personnes. Elles seules peuvent s'impliquer pour des raisons qui leur sont propres. Mais l'entreprise peut créer les conditions de leur implication. Ces conditions sont : la cohérence - comment voulez-vous que je m'implique si je ne comprends rien ? - , la réciprocité - comment voulez-vous que je m'implique si je n'ai pas l'impression qu'en face on s'implique autant que moi ? - et l'appropriation - il faut que mon travail m'appartienne un peu. La satisfaction de ces conditions se situe largement dans le relationnel, pas seulement dans les politiques de rémunération et de gestion du personnel.

Il y a un vrai enjeu pour l'entreprise à investir dans le relationnel. C'est une compétence que devraient plus détenir ceux qui encadrent, s'occupent des personnes. Et, comme toute compétence, elle s'apprend en permanence.

PARCOURS

Maurice Thévenet est titulaire de la chaire administration et gestion du personnel au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et professeur à l'Essec.

- Ancien directeur de l'Essec et vice-président de l'AGRH (Association francophone de gestion des ressources humaines), il est l'auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la culture d'entreprise et les comportements dans l'entreprise.

- Son activité de consultant international se situe dans le domaine du développement du management et de la gestion des personnes. Son dernier livre, Le plaisir de travailler , est paru en 2000 aux Éditions d'Organisation.

SES LECTURES

- Sourires de loup , Zadie Smith, Ed. Gallimard, 2001.

- Le Très-bas, Christian Bobin, Ed. Gallimard (Folio), 1995.

- Un merveilleux malheur, Boris Cyrulnik, Ed. Odile Jacob, 1999.