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« L'effort de formation doit profiter aux moins qualifiés »

SANS | publié le : 15.01.2002 |

En s'impliquant davantage dans la formation des moins qualifiés, les entreprises réussiront un double pari social et économique. Et la valeur ajoutée des organismes de formation serait de les aider à construire cette stratégie.

E & C : La formation continue profite aux plus qualifiés et ne touche pas ceux qui en ont le plus besoin. Quelles sont les conséquences prévisibles de cette inégalité ?

Paul Santelmann : C'est toute l'économie qui risque d'être pénalisée : il y a en France 14 millions d'actifs de niveau infra bac qui n'ont pas pu bénéficier d'une formation tout au long de la vie conséquente et, parmi eux, 5 à 6 millions de personnes en situation très fragile sur le marché du travail. Accepter cela, c'est réduire les marges de développement de l'économie qui demande de la qualification de la main-d'oeuvre. Car l'exigence vis-à-vis des emplois dits non qualifiés va être de plus en plus forte. Aujourd'hui, les collectifs de travail exigent une maîtrise des savoirs de base, une capacité à s'organiser, à communiquer, à s'intégrer dans les procédures qualité, etc. Toutes choses qu'on trouve chez ceux qui ont appris à se débrouiller du fait de leur scolarité plus longue ou d'une progression professionnelle conséquente.

Autre conséquence : la concurrence va s'accentuer entre une population jeune de plus en plus diplômée et une population vieillissante peu qualifiée. Or, les perspectives démographiques annoncent une réduction du nombre de jeunes et une augmentation du nombre d'emplois. Une opportunité promotionnelle s'ouvre donc dans les dix ans à venir pour les plus de 40 ans à laquelle personne n'est préparé : ni l'appareil de formation, ni les entreprises, ni les intéressés eux-mêmes. Faute d'une prise de conscience collective de ces perspectives de développement professionnel (deuxième carrière), les quadras et les quinquas risquent de se désengager du travail.

E & C : Comment construire un système de formation continue qui soit à la fois socialement et économiquement efficace ?

P. S. : Il faut d'abord rappeler que l'entreprise est productrice de l'essentiel des savoirs professionnels. Et ce sont les salariés de l'entreprise - cadres, ingénieurs, opérateurs - qui détiennent ces savoirs. Les organismes de formation ne s'y trompent pas qui font appel à des centaines de milliers de formateurs occasionnels qui sont des salariés d'entreprises ! Le paradoxe, c'est que les entreprises dépensent de l'argent pour former leurs salariés à l'extérieur alors qu'elles ont les ressources pédagogiques en interne.

Aller au bout de ce constat, c'est organiser de façon conséquente cette fonction sociale et économique de l'entreprise. La vraie valeur ajoutée des organismes de formation serait d'aider les entreprises à se construire une stratégie de développement du savoir de leurs propres salariés mais aussi de contribuer à la montée en compétences de toute la société. On ne pourra pas résoudre le problème des lacunes des actifs les moins qualifiés par un système de formation qui s'est construit en dehors des savoirs développés par le monde de l'entreprise. Les partenaires sociaux ont là un rôle à jouer. Le financement de la formation professionnelle est un faux problème.

Le vrai débat, c'est de se demander de quelle façon l'entreprise contribue à la montée en compétences de la population active. Les entreprises y ont intérêt : laisser les problèmes sociaux à la charge de l'État et des pouvoirs publics se traduit par des charges sociales plus lourdes pour les entreprises.

E & C : Concrètement, comment un tel système pourrait-il se mettre en place ?

P. S. : Le système de mutualisation des fonds de la formation professionnelle pourrait être l'un des vecteurs de cette stratégie. Les entreprises versent environ 3,05 milliards d'euros aux Opca et un grand nombre d'entre elles ne dépensent pas pour leurs propres salariés.

A ce système de mutualisation à l'aveugle pourrait se substituer une politique plus ciblée vers les populations non qualifiées, et décidée soit par branche professionnelle, soit par territoire. Aux fonds mutualisés pourraient s'ajouter les fonds publics et ceux de l'Unedic. Le système d'assurance-chômage, qui détient désormais dans le cadre du Pare (Plan d'aide au retour à l'emploi) une responsabilité dans ce domaine, peut avoir intérêt à ce que l'effort de formation de montée en compétences des salariés se fasse avant le chômage pour faciliter leur reconversion ou leur employabilité.

Cette mécanique ne peut se construire que s'il y a convergence de flux financiers et engagement des entreprises à accompagner ce dispositif. A moins d'un effort de 100 000 à 150 000 salariés par an accédant à une démarche de qualification professionnelle supérieure à leur niveau d'emploi, on est en dessous de l'effort à mener.

SES LECTURES

- Le travail sans qualités. Les conséquences humaines de la flexibilité, Robert Sennet, Ed. Albin Michel, 2000.

- Les illusions du management, Jean-Pierre Le Goff, Ed. La Découverte, 2000.

- L'ingénierie de formation d'adultes, Sandra Bellier, Ed. Liaisons, 1999.

PARCOURS

Spécialiste de la formation et des politiques de l'emploi, Paul Santelmann est directeur de la prospective d'un important organisme de formation parapublic. Il a commencé sa carrière à la Direction du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle du Nord-Pas-de-Calais. Il a ensuite été chargé de mission à la Délégation à la formation professionnelle où il a copiloté le programme Paque (insertion des jeunes) et a été responsable du dossier alternance.

Il enseigne à Paris-1, dans le cadre du Diplôme universitaire d'ingénierie en formation et à Paris-10 au département sciences de l'éducation.

Il a publié, en 2001, La formation professionnelle, nouveau droit de l'homme ? (Ed. Gallimard/Le Monde, Folio actuel).