Le torchon brûle entre l’Udes et le Mouvement Impact France. Le second, qui souhaite se constituer en confédération patronale des entreprises à impact, marche sur les plates-bandes de la première sur fond de révision en cours de la loi sur l’ESS de 2014.
Il y a des mots qui fâchent. Des positionnements qui irritent. En découvrant le 26 avril dernier un article du Monde intitulé « Le directeur général de la MAIF veut faire du Mouvement Impact France le Medef de l’économie sociale et solidaire », le sang de l’Udes n’a fait qu’un tour. Conséquence : quinze jours plus tard, les dirigeants de l’Union des entreprises de l’économie sociale et solidaire se fendaient d’une réponse acide visant à remettre les points sur les « i » et, surtout, les trublions à leur place. « Le MIF n’a pas à se présenter comme un “Medef de l’ESS”, ce qui signifierait qu’il soit représentatif dans notre secteur. Or, il ne répond pas aux critères établis dans le droit du travail pour prétendre à la représentativité. L’Udes est actuellement la seule organisation patronale qui soit reconnue telle sur son champ ! », s’agace Hugues Vidor, président de l’Udes. Il faut dire que la longue marche vers la représentativité engagée par l’Union depuis près de trois décennies – l’organisation soufflera ses trente bougies l’an prochain – fut longue et semée d’embûches. Forcément, l’arrivée de petits nouveaux dans le jeu énerve.
Difficile cependant de nier l’évidence. Avec 23 groupements d’employeurs, 16 branches professionnelles, 30 000 entreprises, près d’un million de salariés rassemblés sous sa bannière et plusieurs accords interprofessionnels signés avec les syndicats à son actif (l’un des derniers, paraphé en 2021 et étendu le 30 mai 2023, porte sur l’impact du numérique sur les conditions de travail et d’emploi), l’Udes coche toutes les cases établies par la Direction générale du travail pour afficher ses galons d’organisation patronale représentative. Face à cela, le Mouvement Impact France, fondé en 2010 (sous le nom de Mouves) par Jean-Marc Borello, patron du groupe SOS, dans le but de regrouper les entreprises « à impact », fait davantage figure d’auberge espagnole. Il compte ainsi dans ses rangs aussi bien des employeurs associatifs ou mutualistes que des entreprises capitalistiques standard, fussent-elles titulaires du label Esus (la porte d’entrée dans l’ESS), dotées d’une mission ou adhérentes d’un syndicat du bio ou du commerce équitable.
En outre, l’élection, au mois de mai dernier, à la présidence du MIF du duo formé de Julia Faure (dirigeante de Loom, une marque de textile éco-responsable) et de Pascal Demurger (directeur de la MAIF) brouille encore un peu plus les cartes. Partisan d’une dynamique d’ouverture, le tandem a amené avec lui au sein de l’association plusieurs grands comptes comme la SNCF, KPMG, L’Occitane ou Doctolib dont on peine à voir le lien avec l’économie sociale et solidaire ! Et l’arrivée dans les instances de gouvernance d’entreprises parfois très éloignées de la philosophie de départ a poussé vers la sortie certains soutiens historiques du mouvement comme Christophe Itier (haut-commissaire à l’ESS sous le précédent quinquennat) ou des adhérents de longue date à l’image de la Croix-Rouge, France Handicap ou Emmaüs. « Le MIF associe des choux et des carottes. On y trouve aussi bien d’authentiques militants que des entreprises très capitalistiques qui veulent étendre le champ du marché et des profits au social et pour qui l’ESS n’est qu’un outil de communication », regrette Michel Abhervé, universitaire spécialisé dans l’étude du milieu de l’économie sociale et solidaire. « Le programme d’ouverture de Pascal Demurger a encore augmenté cette confusion. »
Dans ces conditions, difficile d’imaginer que le MIF puisse se faire rapidement une place au soleil paritaire. Certes, l’association adhère bien à ESS France, la confédération de toutes les têtes de réseaux de l’économie sociale et solidaire (où l’on retrouve d’ailleurs l’Udes, aux côtés d’autres acteurs comme les assureurs mutualistes, la fédération des coopératives Coop Fr, Le Mouvement associatif, la Mutualité française ou encore la Fédération des entreprises d’insertion), et entretient des rapports cordiaux avec la CFDT – dont elle a signé le pacte du pouvoir de vivre – et même avec la fraction écologiste de la CGT, mais son activité en matière de négociation collective reste, à ce stade, inexistante. Pourtant, Mouvement Impact France aimerait peser dans le jeu social. Pas en tant que « Medef de l’ESS » – le MIF récuse ce qualificatif que sa direction affirme n’avoir jamais utilisé – mais il n’en projette pas moins de se constituer, à court ou moyen terme, en confédération patronale des entreprises à impact. « Nous avons l’ambition de devenir l’alternative écologique et sociale au Medef. Aujourd’hui, la voix des entreprises engagées manque cruellement dans le débat », explique Caroline Neyron, directrice générale du Mouvement. Le projet est d’autant plus ambitieux qu’il s’accompagne de propositions fiscales et sociales qui constituent des lignes rouges infranchissables pour l’organisation de l’avenue Bosquet. Comme l’obligation d’établir le bilan carbone des entreprises dès 30 salariés (contre 250 aujourd’hui) ou le conditionnement des aides de l’État aux efforts des entreprises en matière de transition environnementale et sociétale. « Nous ne voulons pas remplacer l’Udes, mais au contraire nous rapprocher d’elle pour que notre voix porte davantage », poursuit Caroline Neyron. Mais si, en la matière, Hugues Vidor indique que sa porte reste toujours ouverte à des propositions de travail communes – sans cependant vouloir céder sur la représentativité de l’Union –, le doute sur le succès de l’opération est de mise.
« C’est un projet peu réaliste et peu respectueux de ce que l’ESS a essayé de construire avec l’Udes », tranche Jérôme Saddier, président d’ESS France. Ancien chef de cabinet de Benoît Hamon lors de son passage au ministère de l’Économie sociale et solidaire entre 2012 et 2014, ce dernier perçoit dans l’objectif affiché par le Mouvement « une méconnaissance des règles de la représentativité et du dialogue social » de la part d’un conglomérat qui accueille en son sein des entreprises ne relevant d’aucune convention collective de l’économie sociale et qui n’a jamais engagé la moindre négociation avec les syndicats de salariés. Quant au rôle d’aiguillon du Medef en matière de transition écologique que le MIF entend incarner, il fait sourire les principaux intéressés. « C’est davantage un cheval de Troie des ambitions personnelles de Pascal Demurger au sein du Medef qu’autre chose ! », ricane un cadre de la maison… où néanmoins le directeur de la MAIF peut compter sur quelques soutiens. Au fond, le différend entre les deux parties est surtout juridique. Pour définir une entreprise de l’ESS, la loi Hamon a retenu comme principaux critères la recherche d’utilité sociale, la gouvernance démocratique, le réinvestissement des bénéfices et leur caractère impartageable. Mais elle ne dit rien, par exemple, sur la responsabilité environnementale de l’entreprise. À l’inverse, un employeur peut cocher un maximum de cases de l’« Impact Score » – le référentiel de vertus du MIF – sans pour autant partager ses bénéfices avec ses salariés ou ouvrir sa gouvernance aux représentants du personnel (même si par ailleurs le Mouvement l’encourage). En son temps, Christophe Itier avait largement ouvert les bras de l’économie sociale et solidaire aux entreprises écologiquement et socialement responsables afin de créer des passerelles entre les deux mondes. L’initiative avait d’ailleurs abouti à la création, par ESS France, d’un concept de « raison d’agir » pour les entreprises de l’économie sociale et solidaire très proche dans l’esprit et dans la lettre de celui de « raison d’être » pour les entreprises capitalistiques lambda. Cette meilleure concordance entre ESS et RSE fait d’ailleurs partie des chantiers de rénovation de la loi de 2014 ouverts par Marlène Schiappa à l’occasion de ses 10 ans. Les cartes seront-elles rebattues au point de créer une brèche dans la représentativité patronale dans laquelle le MIF pourrait se glisser ? À voir. D’autant qu’en parallèle, une mission parlementaire animée par les députés Hadrien Clouet (LFI/Nupes) et Didier Le Gac (Renaissance) phosphore également sur cette même représentativité. De là à penser que les étoiles pourraient s’aligner dans le ciel du Mouvement Impact France…