Benoît Serre vice-président délégué de l’ANDRH
Trois ans après le premier confinement et compte tenu de tout ce qui s’est passé depuis dans notre environnement national et international, les prémices de ce que pourrait être la nouvelle société du travail semblent apparaître. Certes, le télétravail n’en est qu’une dimension, finalement pas si essentielle, mais il constitue un symbole. Il a en tout cas été présenté comme tel, avec parfois, d’ailleurs, une tendance à penser qu’il était l’alpha et l’oméga de la transformation du travail… Il n’en est rien, bien évidemment, et l’on peut légitimement s’interroger sur la réelle importance du télétravail dans les évolutions que nous constatons toutes et tous.
L’une de ses qualités principales est sans doute que sa généralisation autant subite que subie a essentiellement révélé que d’autres formes d’organisation du travail étaient possibles tout autant que les modèles alternatifs de relations managériales ou collaboratives. Nous avons depuis mesuré les inconvénients de cette distance professionnelle dont les impacts sur la vie personnelle sont forts, parfois, et pas toujours positifs. Nous avons aussi pu constater que le travail hybride méritait sans doute une plus grande réflexion. En aucun cas, les organisations ne pouvaient se contenter de simplement passer partiellement à distance ce qu’elles faisaient auparavant en présentiel. En effet, de même que le travail a de tout temps été organisé physiquement, il doit l’être aussi à distance. Nous commençons à avoir un peu de recul et si le modèle de deux jours de télétravail par semaine semble assez largement majoritaire, il demeure beaucoup de points à régler pour que ce mode de fonctionnement constitue un plan autant pour les salariés que pour les entreprises. Là est sans doute la difficulté, car les organisations n’ont pas encore pu – ou voulu – tirer toutes les conséquences managériales de cette hybridation du travail, et notamment la perception erronée de certains collaborateurs, qui estiment que c’est à eux seuls de déterminer leur rythme de présence ou d’absence du lieu physique qu’est toujours une entreprise.
Pour autant, les organisations qui commencent à trouver ce nouvel équilibre mesurent parfaitement que ce n’est pas le nombre de jours qui est en cause, ni même leur détermination dans la semaine ou leur modèle de validation managériale. Le télétravail – symbole de la crise Covid – est l’expression la plus simple à mettre en œuvre d’une aspiration beaucoup plus profonde : une plus grande liberté d’organisation individuelle du travail et de sa conséquence immédiate : l’exigence d’autonomie.
C’est en cela que la seule question du télétravail est sans doute dépassée. Il n’est qu’une forme adaptée ou dégradée de l’organisation d’avant, alors que les attentes sont bien plus structurées, autour d’une autonomie renforcée, d’une exigence de subsidiarité affirmée et donc d’un management profondément rénové. C’est en abordant résolument ces trois dimensions que nous pourrons commencer à trouver des réponses satisfaisantes et attractives dans un marché du travail en peine révolution, caractérisé entre autres dans notre pays par la fin du chômage de masse.
Maintenant que le télétravail est acquis, chacun s’y habitue et il devient une évidence pour tous les métiers qui s’y prêtent aisément. Malgré cela, les tensions sur le recrutement, les enjeux de fidélisation, les critères de choix des candidats demeurent focalisés sur cette question de l’organisation du travail et donc de la capacité de l’entreprise à leur prouver qu’ils pourront obtenir des équilibres de vie acceptables.
Nous devons engager fortement des réflexions sur cet enjeu pour précisément préserver un juste équilibre entre aspirations individuelles et exigences collectives. Cela passe par une rénovation de nos modèles de management pour que chacun trouve dans son travail même la liberté et la confiance. C’est en cela d’ailleurs que les dispositions actuellement connues du Pacte de la vie au travail ne répondent que très partiellement aux enjeux des entreprises et de l’emploi. Les conclusions des Assises du travail, en revanche, mettent en avant cette impérieuse nécessité de développer un management par la confiance, tout en reconnaissant que ce ne sont pas les pouvoirs publics qui pourront le faire, mais les entreprises. C’est vrai, car ces questions relèvent de la direction d’entreprise et du dialogue social de terrain. Pour autant, le législateur ne peut totalement s’exonérer de sa responsabilité : il doit donner aux entreprises le cadre adapté pour se libérer de règles législatives écrites pour un autre monde du travail.
Les entreprises et les DRH doivent résolument s’engager dans ces transformations de la gestion du travail lui-même et le législateur doit les soutenir et, a minima, ne pas les freiner !