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Recrutement : faut-il lutter contre les biais cognitifs ?

Chroniques | publié le : 01.07.2023 | Jean Pralong

Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Jean Pralong : L’expertise du Lab RH.

Crédit photo DR

Par Jean Pralong, du lab RH

Le recrutement discrimine. Au bon sens du terme, c’est sa raison d’être : recruter, c’est trier. Mais il peut arriver que la sélection prenne appui sur de mauvais critères. La loi, autant que la demande sociale, a favorisé une prise de conscience : puisque chacun a le droit d’être évalué équitablement, il faut recruter avec justesse. Et c’est souvent sous l’angle de la chasse aux biais cognitifs que le problème est saisi. Que sait-on vraiment de ces biais et est-ce bien le bon moyen pour développer conjointement l’efficience et l’éthique des pratiques de recrutement ?

En première analyse, un biais est un écart à la logique. De nombreuses recherches en ont établi une longue liste. Il suffirait d’en prendre conscience pour s’en protéger. La métaphore est alors celle de la physique : la transmission d’un signal électrique peut être freinée, distordue et finalement corrompue par du « bruit » ou des signaux parasites. La perception et le traitement rationnel d’une information pourraient, de même, être affectés par des informations parasites. Tel était l’imaginaire des débuts de la psychologie cognitive : pensée et informatique, réseau de neurones et processeurs, pensée et logiciels constituaient les mêmes sujets. La réalité est un peu plus complexe. Notre système cognitif mobilise des croyances. Ces croyances jouent un rôle psychologique fondamental : elles simplifient le monde dans lequel nous vivons et nous permettent de résorber les incertitudes qui, sinon, seraient difficilement supportables. Le monde est trop imprévisible pour nos capacités attentionnelles. Bref, les croyances sont des ressources cognitives essentielles pour permettre aux individus de disposer des moyens d’agir. Elles nous servent à interpréter le monde qui nous entoure. Nos erreurs ne sont pas des écarts ponctuels à la logique : ce sont les conséquences d’interprétations qui embarquent des croyances. Par exemple, la croyance en la vocation, ou l’idée que chacun ne peut performer et être heureux que dans un nombre limité d’emplois, entraîne la préférence pour des candidats aux parcours simples. Cette erreur peut être lue comme l’effet du biais de statu quo (la préférence pour les choses telles qu’elles sont), du biais d’ancrage (l’utilisation d’une seule information) ou du biais rétrospectif (ce qui a marché marchera). Les biais que nous tenons pour les causes de nos erreurs sont en réalité des conséquences de nos croyances. Les décisions erronées ne sont pas des écarts à la raison : elles mobilisent une forme de rationalité cohérente pour les individus puisqu’elles prennent appui sur les croyances qui permettent de faire sens de ce qu’ils vivent.

Pour se débarrasser des décisions erronées, il ne suffit donc pas de rééduquer les individus en les amenant à repérer leurs biais. La tâche serait fastidieuse et vaine. Fastidieuse, car le nombre de biais identifiables est infini. Vaine, car remettre en cause des biais sans questionner les croyances qui les déterminent ne pourrait que renforcer ces croyances. Une stratégie efficace serait plutôt d’« adresser » directement ces croyances. Permettre aux individus de comprendre quelles visions du monde structurent leurs jugements est sans doute un bon moyen pour produire des décisions efficaces.

Auteur

  • Jean Pralong