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Entretien : « Les employeurs peuvent tacitement mettre à l’écart »

Le point sur | publié le : 29.05.2023 | Nathalie Tissot

Liora Benhamou, avocate en droit social, éclaire divers aspects du droit du travail en ce qui concerne notamment la préservation des ovocytes pour les salariées.

Les femmes qui souhaitent préserver leurs ovocytes bénéficient-elles des mêmes droits au travail ?

Les textes de loi ne sont pas très clairs. La loi sur la bioéthique le prévoit mais dans le Code du travail, ces autorisations d’absence se réfèrent aux examens médicaux obligatoires dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (AMP). Les articles sur les autorisations d’absence AMP datent de 2016 et n’ont pas été mis à jour depuis. De mon point de vue, les employeurs vont avoir du mal à refuser un maintien de salaire aux femmes dans une démarche de préservation ovocytaire, qui peuvent avoir entre 29 et 37 ans. Cela représente une fourchette de population énorme ! Dans le texte de loi sur la conservation des gamètes, qui concerne aussi les hommes, il est par ailleurs écrit que cela peut être « en vue de la réalisation ultérieure d’une assistance médicale à la procréation ». On peut donc établir un lien avec l’AMP. Les étapes sont les mêmes : la stimulation, la ponction sous anesthésie… Je pense que le bénéfice de ces dispositions leur sera aussi applicable.

La loi interdit également les discriminations…

Les couples ou les femmes seules en parcours d’AMP bénéficient d’une protection contre toutes formes de discrimination à l’embauche, tout risque de discriminations liées à la présence à ces examens médicaux pendant l’exécution du contrat de travail. Il est donc impossible de les sanctionner ou de les licencier en cas d’absence pour se rendre à ces examens.

Les partenaires sont-ils autant protégés que leurs conjointes ?

Il existe une jurisprudence d’avril 2023. La cour d’appel de Versailles a jugé qu’un homme ne pouvait pas être licencié parce qu’il s’était absenté en dernière minute pour se rendre à un examen médical – en l’occurrence un transfert d’embryon – alors qu’il avait déjà épuisé ses trois absences autorisées par la loi. Il avait été licencié pour faute grave parce qu’il s’était absenté sans l’autorisation de son employeur. La cour d’appel a considéré son licenciement comme sans cause réelle et sérieuse. Selon elle, l’employeur a pris une décision disproportionnée par rapport à l’absence puisqu’elle était justifiée, et même si cela faisait moins de trois mois que ce salarié était en CDI. Des décisions récentes, donc, et sur des anciennetés faibles…

Les entreprises ont-elles pris conscience de l’importance de ce sujet ?

Pas du tout. Elles sont encore très loin de savoir ce qui est fait en pratique pour ces couples vivant l’infertilité et ces femmes seules qui veulent préserver leur réserve ovocytaire. C’est un sujet encore très peu connu en France, voire tabou. Je pense qu’il faut vraiment sensibiliser davantage les entreprises. Je suis d’ailleurs convaincue que ces problématiques d’absences liées au parcours d’AMP vont être décuplées du fait de l’ouverture de ces parcours aux femmes seules ou homo-sexuelles. À mon sens, il faudrait que cela entre dans les règlements intérieurs ou, en tout cas, dans l’entreprise par note de service pour réglementer, encadrer et protéger les salariées et les entreprises, le tout en bonne intelligence car les textes de loi sont très sommaires. Quand on n’a pas vécu ce parcours, on ne sait pas ce que cela implique… C’est une quinzaine d’examens par mois, c’est énorme. De fait, il y a une discrimination tacite qui se met en place : on a moins de dossiers, moins d’affectations sur des cas importants puisqu’on va s’absenter et qu’il y aura une maternité potentielle ensuite. Les employeurs, même sans licencier ou sanctionner, peuvent ainsi tacitement mettre à l’écart. Il faut renforcer les droits contre ces mises à l’écart. Par ailleurs, cadrer ce sujet et en parler ouvertement à ces salariées va permettre de fidéliser le personnel concerné et de plus en plus nombreux, de limiter l’absentéisme et d’attirer de nouveaux collaborateurs. Autant d’initiatives qui ne peuvent être que gagnantes…

Auteur

  • Nathalie Tissot