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Entretien : « Il y a un certain angélisme de la part des entreprises qui ne sensibilisent pas leurs collaborateurs à la confidentialité »

Le point sur | publié le : 22.05.2023 | Natasha Laporte

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Entretien : « Il y a un certain angélisme de la part des entreprises qui ne sensibilisent pas leurs collaborateurs à la confidentialité »

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Différentes dispositions juridiques permettent aux entreprises de renforcer la protection de leurs biens et de leurs données. Leurs distinctions, les conditions de leur application ainsi que les sanctions en cas de manquement sont décortiquées par David Guillouet et François Hubert, avocats au cabinet Voltaire Associés.

La divulgation d’informations confidentielles des entreprises est encadrée par la loi. Par quels dispositifs ?

Maître François Hubert : Ces problématiques, qui sont quasi quotidiennes dans le monde du travail et ont également donné lieu à quelques affaires retentissantes, sont encadrées notamment par trois notions intimement liées. Il s’agit de la clause de non-concurrence et celle de confidentialité, qui, toutes les deux, existent depuis quelque temps et figurent généralement dans les contrats de travail ou dans les conventions collectives. Elles ont été renforcées, depuis 2018, par une disposition spécifique de la part du législateur : le secret des affaires.

Qu’est-ce que la clause de confidentialité ?

F. H. : La clause de confidentialité interdit au salarié de divulguer des informations à caractère confidentiel qui ont été communiquées pendant son travail afin de protéger le savoir-faire de l’entreprise. Certes, en principe, tout salarié, même indépendamment d’une clause de confidentialité, est tenu par une obligation de loyauté et de discrétion vis-à-vis de son employeur. Mais de plus en plus, étant donné notamment un marché du travail concurrentiel dans certains secteurs, des clauses de confidentialité sont insérées dans les contrats de travail des salariés pour renforcer la protection du savoir-faire et de l’information confidentielle de l’entreprise et éviter ainsi de perdre des marchés.

Mais encore faut-il, pour qu’elle soit valide, que des conditions soient respec-tées…

F. H. : En effet. Tout d’abord, la clause de confidentialité doit être prévue dans le contrat de travail et préciser les informations jugées comme étant confidentielles. Ensuite, il faut qu’elle soit justifiée et proportionnée. Autre particularité, à la différence de la clause de non-concurrence, la clause de confidentialité n’entraîne pas de contrepartie pécuniaire. Enfin, la clause de confidentialité a vocation à s’appliquer essentiellement pendant l’exécution de la durée du contrat de travail et a tendance à s’arrêter à l’issue de celui-ci, même s’il est possible d’insérer dans le contrat de travail des dispositions prévoyant que la clause se poursuive, quand bien même le contrat de travail serait rompu, l’idée étant d’éviter que les salariés quittant l’entreprise, notamment dans le cadre d’une démission, soient amenés à divulguer des informations confidentielles qu’ils ont pu avoir dans le cadre de leur relation de travail.

Quelles sont les sanctions si la clause de confidentialité n’est pas respectée ?

F. H. : Il existe une panoplie de sanctions pouvant être mises en place en cas de divulgation d’informations confidentielles. Par le biais du contrat de travail dans lequel il est prévu expressément une clause de confidentialité ou sur le fondement de l’obligation de discrétion et de loyauté contractuelle à laquelle chacun des salariés est tenu dans le cadre de sa relation de travail. Premièrement, la sanction disciplinaire. Comme tout manquement à ses obligations professionnelles, le salarié peut voir son contrat de travail rompu par un licenciement pour faute grave. Autre sanction possible, dans l’hypothèse où le contrat de travail est déjà rompu, si le salarié continue à diffuser des informations confidentielles, c’est sa responsabilité civile qui peut être engagée. En particulier si cette diffusion porte atteinte à l’image et aux intérêts de son ancien employeur, entraînant donc des dommages et des intérêts. Sans oublier les sanctions pénales sur le fondement de la violation du secret professionnel ou du secret de fabrication, voire d’abus de confiance.

Quant à la clause de non-concurrence, quand s’applique-t-elle ?

F. H. : à l’inverse de la clause de confidentialité, la clause de non-concurrence a tendance à s’appliquer au moment de la rupture du contrat de travail. Si elle est prévue dans le cadre du contrat de travail, elle doit être claire et non équivoque, autrement dit, parfaitement lisible et compréhensible, et si elle est prévue dans la convention collective, il faut que celle-ci soit antérieure à la signature du contrat de travail et qu’elle ait été portée à la connaissance du salarié au moment de son embauche. Dans l’hypothèse où les dispositions de la convention collective sont plus favorables que celles inscrites au contrat de travail, on applique les dispositions qui sont les plus favorables en la matière.

Quelles conditions une clause de non-concurrence doit-elle respecter ?

F. H. : Premièrement, la clause de non-concurrence doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise. Généralement, cette démonstration sera facile à opérer si l’employeur est confronté à un monde concurrentiel dans le cadre de ses relations commerciales et souhaite préserver les informations de sa clientèle pour éviter tout détournement au préjudice de l’entreprise. Par exemple, dans le cas d’un directeur de maison de retraite qui s’était vu insérer une clause de non-concurrence l’empêchant d’exercer les fonctions de médecin à l’issue de son contrat de travail, cette clause a été jugée nulle puisqu’il n’y avait aucun lien, en fait, entre ces deux activités. Ensuite, il faut que la clause de non-concurrence soit limitée dans le temps et dans l’espace. Par ailleurs, il faut qu’elle ait un lien avec la fonction exercée par le salarié. Le niveau hiérarchique n’est pas forcément un critère d’appréciation, l’idée étant surtout de voir si, au regard des fonctions exercées par le salarié, ce dernier a un lien avec la clientèle et s’il y a un risque de détournement de cette clientèle au préjudice de l’employeur. Enfin, une clause de non-concurrence n’est valable que si elle prévoit expressément le versement d’une contrepartie pécuniaire au salarié tenue par cette clause de non-concurrence, à compter de la rupture du contrat de travail et quel que soit le mode de la rupture.

Là aussi, il y a des sanctions potentielles, tant pour les employeurs que les salariés…

F. H. : Oui, d’une part, lorsque l’une des conditions de validité n’est pas remplie, notamment s’il n’est pas prévu de contrepartie pécuniaire, la clause de non-concurrence est jugée nulle par le conseil de prud’hommes qui peut être saisi de ce litige et conduire à un versement de dommages et intérêts au salarié. Si l’employeur a décidé de renoncer à la clause de non-concurrence mais ne l’a pas fait dans le formalisme prévu par le contrat de travail, il peut néanmoins être tenu de verser la contrepartie à moins que le salarié n’ait pas respecté son obligation de non-concurrence. D’autre part, lorsque le salarié lui-même tenu par la clause a manqué à son obligation de non-concurrence, il s’expose à devoir rembourser la contrepartie pécuniaire qu’il a reçue de son employeur, de même qu’à être condamné à des dommages et intérêts si la société justifie d’un préjudice en lien avec le détournement de cette clause, voire faire l’objet de poursuites pénales, notamment sur le chef d’infraction d’abus de confiance.

Le nouvel employeur est-il lui aussi concerné ?

F. H. : En effet, le nouvel employeur doit s’assurer que le candidat qui se présente à lui n’est pas tenu par une clause de non-concurrence vis-à-vis d’anciens employeurs. Et s’il embauche quelqu’un tout en sachant que ce candidat était tenu par une clause de non-concurrence, il peut voir sa responsabilité recherchée par le précédent employeur sur le terrain notamment de la concurrence déloyale et s’exposer à des poursuites pénales s’il a utilisé des informations confidentielles détournées par le salarié au préjudice d’une autre société.

La clause de non-concurrence est-elle utile pour tous les postes ?

F. H. : Certains employeurs ont en effet parfois tendance à mettre des clauses de non-concurrence dans le contrat de travail sans se poser la question de savoir si elle est véritablement nécessaire par rapport au poste occupé par le salarié. Autant sur les fonctions commerciales, la clause de non-concurrence a une pertinence, autant sur un poste de DRH ou de juriste fiscaliste, par exemple, cela peut être plus discutable…

Enfin, il y a aussi la loi sur la protection du secret des affaires. Quel est son intérêt ?

F. H. : Le législateur est en effet venu renforcer la protection des entreprises par une loi de juillet 2018 visant à protéger le secret des affaires. Ainsi, on peut avoir dans les contrats de travail ou dans les documents collectifs internes, tels que les règlements intérieurs et les chartes éthiques, des dispositions spécifiques prévoyant des éléments sur la protection du secret des affaires. Là aussi, la loi prévoit des sanctions. Civiles, qui peuvent être appliquées à toute personne méconnaissant le secret des affaires et en particulier le salarié qui transmettrait des informations couvertes par ce secret à des personnes extérieures à l’entreprise ou même à des salariés de la même entreprise, qui reçoivent ainsi ces informations alors qu’ils ne sont pas censés les avoir dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions. Il y a donc une double protection, susceptible d’être opposée au salarié indélicat. Des sanctions disciplinaires, aussi. Un salarié tenu par une clause visant à respecter le secret des affaires peut voir son contrat rompu en cas de manquement à cette obligation et, le cas échéant, voir sa responsabilité pécuniaire recherchée si la société démontre une intention de nuire en la matière. L’intérêt de recourir aux clauses prévoyant des informations tenues par le secret des affaires est qu’elles viennent en complément de la confidentialité et de la clause de non-concurrence qui s’appliquent, pour la première, essentiellement au moment de la conclusion du contrat de travail et pour la deuxième, à l’issue du contrat de travail mais dans un temps limité. De fait, les clauses en matière de protection du secret des affaires ne sont pas limitées dans le temps – sous réserve que l’entreprise qui se dit victime de la violation du secret des affaires puisse justifier de la mise en place de la protection raisonnable de ce secret des affaires.

Quels comportements de la part des entreprises observez-vous sur le terrain en matière de protection des informations confidentielles ?

David Guillouet : Il peut être constaté Nous constatons un certain « angélisme » de la part d’entreprises qui ne sensibilisent pas suffisamment leurs collaborateurs au b.a.-ba de la confidentialité. D’ailleurs, quand vous prenez un train Paris-Lyon, ligne business par excellence en première classe, il n’est pas rare de voir un certain nombre de cadres qui laissent leur PC et tous leurs outils de travail pendant qu’ils vont à la voiture-bar ou qui travaillent sans écran de confidentialité. Il y a des collaborateurs qui perdent leur téléphone portable, puis on se rend compte qu’il y avait dessus un mot de passe par défaut et que le téléphone n’était pas protégé, alors que ce collaborateur, rattaché par exemple à la direction financière ou juridique, voit passer sur son flot de mails l’ensemble des données confidentielles de l’entreprise… Mieux vaut ne pas se promener avec des données confidentielles dans un TGV, ou se connecter au wifi d’un aéroport avec un ordinateur portable. Autant de principes de respect de sécurité auxquels les cadres ne sont souvent pas assez sensibilisés. Dans ces cas, ce n’est même pas une volonté du collaborateur de nuire, c’est simplement qu’il estime qu’il n’y a pas de problème… C’est pourquoi, au-delà des clauses et des sanctions, il faudrait également faire régulièrement des sessions de formation sur les risques liés à la confidentialité. Sans oublier de sensibiliser les représentants du personnel, eux aussi amenés à disposer d’informations confidentielles dans le cadre de leur mandat.

Auteur

  • Natasha Laporte