logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le grand entretien

« Toutes les E2C mettent l’alternance au cœur de leur dispositif » (Alexandre Schajer)

Le grand entretien | publié le : 15.05.2023 | Frédéric Brillet

Image

« Toutes les E2C mettent l’alternance au cœur de leur dispositif »

Crédit photo

Fondé en 1997, le réseau des Écoles de la 2e chance (E2C) accueille de jeunes décrocheurs pour leur redonner un avenir professionnel en recourant à des méthodes pédagogiques éprouvées et en multipliant les partenariats. Rencontre avec le président du réseau, Alexandre Schajer. 

Qu’est-ce qui fait la spécificité des Écoles de la 2er chance (E2C) dans le paysage de la formation ?

Alexandre Schajer: Comme leur nom l’indique, les E2C, sous statut associatif, offrent une seconde chance à des décrocheurs du système éducatif classique. Nous formons les publics jeunes les plus éloignés de l’emploi et nous les accompagnons vers une situation d’insertion sociale, citoyenne et professionnelle durable, en répondant aux enjeux des territoires et des entreprises. Ces formations se caractérisent par le fait qu’elles sont courtes (en moyenne de six à sept mois), intensives et structurantes (35 heures par semaine) et très individualisées. Ce souci d’adaptation aux besoins des stagiaires nous conduit à leur permettre d’intégrer l’E2C tout au long de l’année. De même, ils peuvent la quitter à tout moment pour accéder à un premier emploi, à une alternance ou à une formation qualifiante. Pour résumer, le système des E2C se différencie par une flexibilité et une plasticité sans équivalent, sa force étant d’opérer sur un triptyque intégrant l’acquisition de compétences, l’expérience en entreprise et l’accompagnement à l’inclusion.

Quel bilan quantitatif dressez-vous de l’année 2022 ?

A.J: Les confinements successifs en 2020 et 2021 avaient réduit le recrutement des stagiaires, mais nous tendons à regagner les niveaux d’avant la crise sanitaire. L’an dernier, nous avons accueilli au total 15 001 stagiaires sur 146 sites, dont 10 544 nouveaux entrants (soit près de 2 % de plus qu’en 2021 pour ces derniers). Dans les années à venir, nous tablons sur 17 000 stagiaires accueillis, ce qui reste faible au regard des jeunes sans qualification et sans emploi qui sont vraisemblablement plus de 300 000.

Comment attirez-vous les stagiaires ?

Ils nous sont adressés par les acteurs de l’orientation, essentiellement les missions locales et Pôle emploi. Mais nous lançons également des campagnes de recrutement sur les principaux réseaux sociaux où notre public cible est présent (Snapchat, TikTok, Instagram, Facebook). Cela a contribué à l’augmentation des candidatures spontanées (+ 16 % par rapport à 2021). Un autre exemple : en milieu rural, dans les Hauts-de-France, une E2C expérimente un bus pédagogique pour des jeunes éloignés des bassins d’emploi et confrontés à des problèmes de mobilité.

Quel est le profil de vos stagiaires ?

A.J: Nous accueillons des publics de plus en plus diversifiés. Historiquement, les E2C se focalisaient sur les 18-25 ans sortis sans diplômes du système scolaire, qui représentent encore 85 % des stagiaires. Mais le nombre de décrocheurs est heureusement en baisse, là où l’on mentionnait 150 000 jeunes par an sortis du système éducatif sans qualification, on ne parle plus aujourd’hui que de quelque 80 000 jeunes, grâce à la mise en place de dispositifs anti-décrochage, auxquels nous avons d’ailleurs contribué. Davantage d’élèves demeurent donc dans le système éducatif et obtiennent un diplôme. Ils ont le parchemin, mais pas forcément les compétences ou les appétences requises pour être recrutés. Preuve en est, 19,1 % des jeunes de niveau bac sont au chômage, selon l’Insee. Pour y remédier, les E2C ont obtenu en 2022 l’autorisation du ministère du Travail d’accueillir de jeunes bacheliers dépourvus d’expérience professionnelle et présentant un risque de non-accès à l’emploi : ils constituent déjà 6 % de nos effectifs et certaines E2C expérimentent par ailleurs un dispositif baptisé Digitale Académie, grâce auquel des étudiants peuvent préparer un BTS à distance, faute d’avoir trouvé une place dans la spécialité de leur choix et à proximité. La part des mineurs a augmenté, quant à elle, de six points en 2022 et représente 30 % des jeunes accueillis. Enfin, 28 % de nos stagiaires viennent des QPV (quartiers prioritaires de la ville). Nous travaillons aussi à redonner un avenir à des jeunes qui ont pu sombrer dans la délinquance et nous sont adressés par les structures spécialisées auprès de la justice : cette catégorie de jeunes souvent attentifs et souhaitant tourner la page représente environ 9 % de l’effectif. Nous comptons davantage de nationalités extra-européennes (14 %), pas forcément francophones, et des jeunes susceptibles d’être reconnus comme handicapés (4 %), ce qui nous pose de nouveaux défis. Une dizaine d’E2C accueillent enfin de jeunes allocataires du RSA dans le cadre de conventions signées avec les départements.

Quelles sont les exigences des E2C à l’égard des élèves ?

A.J: Nous accueillons tous les jeunes en quête d’insertion sans condition de diplôme, mais sommes vigilants en ce qui concerne leur motivation. Nous validons ce critère par un entretien d’entrée et lors d’un sas de quatre à six semaines durant lequel nous observons le comportement, la ponctualité et l’assiduité. À l’issue de ce sas, nous leur proposons la signature d’un plan individuel de formation qui contractualise leur engagement et perdons à ce stade quelque 14 % des jeunes par refus des contraintes et/ou par la certitude qu’ils se débrouilleront mieux par eux-mêmes…

À quoi aspirent vos stagiaires ?

A.J: Beaucoup rêvent de vendre des sneakers, mais peu s’enthousiasment spontanément à l’idée de travailler dans l’hôtellerie-restauration, le gardiennage et/ou le BTP – qui recrutent bien davantage. Nous organisons donc des visites d’entreprise et des rencontres avec des salariés et des patrons dans ces secteurs. À charge pour eux de réenchanter ces métiers et d’attirer, sachant que nos élèves leur posent des questions cash sur les horaires, les salaires, les contraintes… Mais ces échanges sont très enrichissants et produisent des déclics.

Combien coûtent les parcours E2C et pour quels résultats en termes d’insertion ?

Le parcours d’un stagiaire E2C coûte en moyenne 5 800 euros à la collectivité, hors allocation attribuée au jeune par les conseils régionaux, qui s’élève à 500 euros par mois. Concernant les résultats, 63 % de nos stagiaires ont bénéficié en 2022 d’une sortie positive – qui peut consister en la signature d’un contrat de travail (23 % des sortants), de l’orientation vers une formation qualifiante ou diplômante (22 %) ou d’un contrat de travail en alternance (18 %). Ces coûts et ces résultats peuvent varier selon les parcours : dans les parcours classiques, nous accompagnons les stagiaires dans le choix d’un métier, certains mettant plusieurs mois à trouver leur vocation. Nous avons aussi mis en place près de 40 parcours spécialisés avec des partenaires qui ont des besoins locaux de recrutement dans la restauration, les métiers de l’industrie, du commerce, de la logistique, de la santé. Destinés aux candidats qui ont déjà trouvé leur voie, ces parcours coûtent plus cher mais obtiennent un taux de sortie positive supérieur, proche de 80 %.

À quoi tiennent vos résultats ?

A.J: Pour l’essentiel, ils découlent d’un bon dosage entre des méthodes pédagogiques éprouvées par l’expérience et de l’innovation fondée sur l’expérimentation. Nous fonctionnons de manière décentralisée et laissons les écoles prendre des initiatives dans le cadre d’un processus de labellisation qui facilite le partage de bonnes pratiques. Par exemple, toutes les E2C mettent l’alternance au cœur de leur dispositif. Les entreprises sont étroitement associées aux processus et contenus des formations. Les stages représentent a minima 30 % du temps de formation et peuvent être d’une durée d’une à quatre semaines. Nos élèves bénéficient d’un bon taux d’encadrement (on compte un salarié E2C pour douze inscrits) et d’un suivi qui peut se prolonger jusqu’à un an après la fin du parcours. Ce suivi post-formation fait à lui seul remonter de huit points notre taux de sorties positives. Nos pratiques pédagogiques s’appuient aussi sur des projets sociaux, culturels et citoyens (sorties culturelles, ateliers théâtres, activités sportives). Nous partons du principe que chaque parcours doit donner la possibilité aux jeunes d’apprendre à apprendre et de découvrir leurs compétences. Pour les y aider, le Réseau E2C France innove. Nous avons lancé en novembre dernier un serious game vidéo « Horizons : le jeu de ton avenir », qui reprend les codes ludiques de cet univers. Nous expérimentons enfin dans une douzaine d’écoles de l’E2C Lorraine et avec l’Éducation nationale des dispositifs pour remettre sur les rails de jeunes décrocheurs de 15 ans qui demeurent sous statut scolaire.

Quel rôle jouent les partenariats noués avec les entreprises, administrations et collectivités ?

A.J: Ils jouent un rôle essentiel et participent à notre gouvernance. Depuis vingt-cinq ans, nous signons des accords avec des entreprises locales qui expriment des besoins locaux de recrutement et avec lesquelles nous échangeons pour articuler le contenu des formations aux stages qu’ils proposent. Ainsi, en 2022, nous avons signé des conventions avec le restaurateur KFC, le fabricant de surgelés Picard, Bureau Veritas qui opère dans l’inspection et de la certification, les distributeurs Leroy Merlin et Carrefour. Des accords ont également été conclus l’an dernier avec des fédérations professionnelles de l’agroalimentaire, du BTP et de la logistique. Par ailleurs, nous avons resigné des conventions avec les missions locales et Pôle emploi pour l’orientation de candidats. Nous travaillons en bonne intelligence avec tout le monde, car l’intégration des jeunes en difficulté nous concerne tous.

 

Parcours

Avant de devenir président du réseau des Écoles de la 2er chance (E2C), Alexandre Schajer a mené une carrière de cadre dirigeant dans diverses industries et dans le secteur de la formation. Il a ainsi été directeur général d’Alméa Formations Interpro à Châlons-en-Champagne, président d’IUT, président de ColArt, leader mondial des peintures artistiques regroupant plusieurs marques (dont Lefranc Bourgeois en France). Il est titulaire d’un BTS Commerce et distribution et d’un Executive MBA d’HEC.

Auteur

  • Frédéric Brillet