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Chroniques

Appréciation des difficultés économiques : dernières jurisprudences

Chroniques | publié le : 15.05.2023 | Yvan William

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Yvan William : La chronique juridique

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La chronique juridique d'Yvan William.

Voilà presque sept ans que la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (dite loi El Khomri ou loi Travail) a été promulguée. Précédée de plusieurs mois de mouvements sociaux, cette loi fut finalement adoptée par recours à l’article 49.3. Inspirée d’un rapport remis à Emmanuel Macron alors ministre de l’Économie du gouvernement Valls, son objectif était de simplifier le Code du travail et de sécuriser les relations de travail afin de lever les freins à l’emploi. Loin des affres de la réforme des retraites fraîchement promulguée, quel premier bilan tirer de la loi El Khomri ?

En remaniant en profondeur le droit de la négociation collective, elle a, par ricochet, augmenté sensiblement les possibilités d’aménagement négocié du temps de travail par les entreprises. Le pari semble sur ce point réussi.

L’un des autres volets de la loi visait à pallier l’absence de précision législative sur la notion de difficultés économiques. L’imbroglio des dispositions sur le sujet rendait l’exercice de construction d’un motif économique valable très périlleux pour les entreprises. Cette situation ainsi que l’aléa et la longueur des décisions de justice étaient source d’une profonde insécurité juridique pour les justiciables. Dans sa rédaction issue de la loi Travail, l’article L. 1233-3 pose désormais des critères clairs de définition des difficultés économiques. Elles se caractérisent soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

En réalité, seule la notion de baisse significative du chiffre d’affaires ou des commandes a fait l’objet d’une définition précise et d’un encadrement fidèle aux objectifs affichés par la loi. En fonction de l’effectif de l’entreprise, si l’employeur apporte la preuve de la diminution de son chiffre d’affaires sur un trimestre (entreprise de moins de onze salariés), deux trimestres consécutifs (au moins onze et moins de cinquante salariés) ; trois trimestres consécutifs (au moins cinquante et moins de trois cents salariés) ou quatre trimestres consécutifs (entreprise de trois cents salariés et plus), alors le motif économique reposera sur une cause valable.

Les autres indicateurs de nature à caractériser l’existence de difficultés économiques expressément cités par la loi (pertes d’exploitation, dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation) restent liés à la preuve d’une diminution significative sans plus de précision sur cette notion.

Dieu merci pour les conseils d’entreprise, tout n’est donc pas réglé… que faut-il entendre par évolution significative ? Comment apprécier la période de diminution de ces indicateurs ? Le ministère du Travail avait commencé à éclaircir la voie. La Cour de cassation a progressivement précisé plusieurs points :

• la période de diminution du chiffre d’affaires ou des commandes s’apprécie non pas sur les trimestres précédant immédiatement la date de rupture du contrat de travail mais entre la période contemporaine et la même période de l’année précédente (Cass. Soc. 01/06/2022 n° 20-19.957),

• une augmentation même légère du chiffre d’affaires ou des commandes sur l’un des trimestres à considérer suffit à rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse (arrêt cité),

• la dégradation d’autres indicateurs que le chiffre d’affaires ou la baisse des commandes (en l’espèce la diminution de l’excédent brut d’exploitation « EBE ») doit être sérieuse et durable ; l’entreprise dont l’EBE a diminué significativement sur une période de quatre ans, même si l’EBE a été légèrement positif sur un exercice et que la diminution était moins significative sur la période précédant immédiatement la rupture, constitue un motif économique réel et sérieux (Cass. soc. 01/02/2023 n° 20-19.661).

La sécurisation juridique du motif économique est cependant loin d’être achevée. Un pan entier de la motivation des réorganisations demeure très flou. L’appréciation de la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ou du secteur d’activité d’un groupe invoqué fréquemment demeure soumise à de nombreux questionnements et aléas d’interprétation.

L’incertitude encore et toujours… qui a dit que l’homme est celui qui avance dans le brouillard ?

Auteur

  • Yvan William