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Orienter plutôt que sélectionner

Chroniques | publié le : 15.05.2023 | Jean Pralong, Matthieu Penet

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Jean Pralong ; Matthieu Penet : L’expertise du Lab RH

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L’expertise du Lab RH, par Jean Pralong et Matthieu Penet.

Les données ne manquent pas pour illustrer les difficultés auxquelles les recruteurs de 2023 sont confrontés. Ici, on constate que près de 50 % des propositions sont refusées par les finalistes. Ailleurs, on déplore qu’un tiers des rendez-vous ne soient pas honorés par les candidats. Enfin, notre étude1 montre que plus de la moitié des candidats s’auto-éliminent au lieu de postuler à une offre pour laquelle ils sont pourtant compétents. La même recherche montre que les causes de l’auto-élimination sont principalement à trouver du côté des pratiques de recrutement et de la crainte qu’elles inspirent.

C’est la peur du rejet et donc de l’injustice qui dissuade ces candidats. L’étude a ainsi, peut-être, le mérite de remettre en cause les explications les plus souvent avancées pour justifier la crise du recrutement actuelle. Certes, la démographie et la bonne santé des entreprises n’aident pas ; mais il n’est sans doute pas suffisant d’incriminer les candidats et de s’en prendre à de supposés effets de génération ou d’éducation. Et il ne serait pas inutile de questionner certaines pratiques.

Commençons par le début : l’objectif du recrutement. De la formulation de cet objectif découlent des procédures, des outils et, aussi, des pratiques. Un petit groupe de responsables RH a donc été invité à définir les objectifs d’un recrutement réussi. Réponse unanime : « Trouver le bon candidat ». Il existerait dès lors un « bon candidat », des « moins bons » et des « pas bons », au moins pour le poste à pourvoir. Du côté du recruteur, la métaphore est celle de la pêche au chalut : il s’agit de lancer de larges filets pour se donner le plus de chances de trouver ce « bon » candidat sans se soucier de gâcher la masse des candidats un « tout petit peu moins bons ». Vécu du côté du postulant, ce processus est un hasardeux concours dont un seul candidat serait gagnant. En vérité, la meilleure métaphore est celle du tuyau percé. Le process orienté « bon candidat unique » fuit. En ne promettant que deux issues d’aussi inégales probabilités (être l’unique gagnant ou l’un des nombreux perdants), ces pratiques dissuadent les candidats de postuler ou les font fuir. La plus grosse perte est sans doute à la fin, dans le volume de ceux qui n’ont pas été retenus.

Peut-être est-ce donc la formulation des objectifs qui mérite d’être revue. Quelles alternatives ? « Engager le bon candidat » aurait la vertu de donner une place active au finaliste. Engager c’est embaucher, mais c’est aussi impliquer et associer. Que vaut ce « bon » candidat s’il n’est pas convaincu des chances de réussite, de développement et d’épanouissement qu’on lui propose ? Le meilleur candidat n’est pas seulement le « bon » au sens des critères de sélection : c’est celui qui se projette dans le poste et qui y place son envie.

Reste que ces deux objectifs persistent à produire une segmentation binaire : le gagnant et les autres. Et, en ces temps de pénurie, c’est aussi de ces autres candidats qu’il faut s’occuper. Les « pas assez bons » d’aujourd’hui sont les « bons » de demain. Combien d’entreprises accordent à ces candidats suffisamment de temps pour leur donner envie de retenter leur chance ? Il ne suffit pas de stocker des CV pour faire un vivier. Encore faut-il maintenir l’envie et, au moins, contrôler les frustrations. Il faut donc faire que l’expérience de tous les candidats soit utile, riche et valorisante. Un axe de progrès pourrait être de reformuler les objectifs de l’évaluation. Pourrait-on orienter plutôt que sélectionner ? Orienter, c’est supposer qu’on va faire des retours à tous les postulants sur leurs compétences et leurs potentiels. Les candidats ont finalement peu l’occasion d’avoir un échange approfondi avec un expert RH. Orienter, c’est aussi réfléchir à un avenir du candidat à l’ensemble des postes ouverts aujourd’hui mais aussi dans le futur. C’est supposer qu’un individu pourrait rejoindre l’entreprise par plusieurs portes. C’est, enfin, créer de la valeur pour tous les candidats et non pour un seul.

(1) Should I stay or should I apply ? Pourquoi répondre à une offre d’emploi ? HRInsights #8, Chaire Compétences, Employabilité et Décision RH, EM Normandie Business School

Auteur

  • Jean Pralong, Matthieu Penet