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Tendances

Une nouvelle approche contre les addictions

Tendances | publié le : 08.05.2023 | Nathalie Tissot

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Santé au travail : Une nouvelle approche se fait jour face aux addictions

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Si les employeurs sont de plus en plus nombreux à aborder le sujet des conduites addictives en milieu professionnel, le chemin reste encore long pour sortir définitivement d’une approche individuelle et répressive. Pourtant, ces addictions, qu’elles soient à des substances ou comportementales, questionnent souvent les conditions de travail et nécessitent des espaces d’échanges au sein des organisations.

Le 4 avril 2023, la SNCF a signé la charte ESPER (Les entreprises et les services publics s’engagent résolument). Lancée en octobre 2021 par la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), elle a pour but de briser le tabou des addictions – qu’elles soient aux substances (tabac, alcool, drogues, médicaments…) ou comportementales (jeux d’argent et de hasard, écrans…). Elle vise également à favoriser une prévention collective, positive et à accompagner les travailleurs vulnérables pour lutter contre la désinsertion professionnelle. Parmi les 57 employeurs publics et privés engagés figurent la mairie de Toulouse, le groupe RATP, Auchan Retail France, l’AP-HP…, mais aussi de plus petites structures qui peuvent ainsi avoir accès à des fiches pratiques, un réseau de partenaires et au partage d’expériences.

« On peut avoir l’impression de partir de rien, mais il y a toujours une médecine préventive et des représentants du personnel. Il faut s’appuyer sur ce qui est existant mais peut-être insuffisamment identifié par les salariés », déclare Myriam Lortal, chargée de mission Emploi à la Mildeca. Son président, Nicolas Prisse, conseille également de sensibiliser à l’occasion des campagnes nationales, comme le mois sans tabac en novembre ou le défi sans alcool du mois de janvier, et de rapprocher cette question d’autres chantiers comme l’égalité hommes-femmes ou les violences sexistes et sexuelles et de s’en servir pour « réinterroger sous un autre angle la question des souffrances au travail, de l’organisation, des risques psychosociaux », dit-il. Les actifs en emploi ont beau être moins touchés par les addictions que les autres, le travail peut aussi être, dans certains cas, un facteur aggravant.

Dans une note de cadrage sur l’usage de substances psychoactives en milieu professionnel, publiée en février 2022, la Haute Autorité de santé rappelait ainsi, en citant les résultats du baromètre de Santé publique France de 2017, que « parmi les personnes en emploi, 11,7 % des hommes et 9,1 % des femmes déclaraient que la consommation d’alcool au travail fait partie de la culture de leur milieu professionnel ». Si tous les secteurs sont concernés par les addictions, certains, comme la construction, les arts, les spectacles et les services récréatifs ou l’hôtellerie et la restauration, semblent plus exposés, comme le signalait dès 2015 une synthèse de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). Les 18-35 ans sont les premiers consommateurs d’alcool, de tabac et de cannabis, qui multiplient les risques de perte d’emploi mais aussi d’accidents graves du travail. Au-delà de ces menaces, il s’agit aussi de préserver la santé des salariés et d’améliorer la performance de l’entreprise. La formation des collaborateurs à mieux repérer et orienter des collègues en difficulté apparaît alors comme cruciale.

Guides sur les addictions

Le groupe EDF a ainsi publié, en 2015, deux guides sur les addictions à destination des salariés et des managers. Il revendique également de nombreuses actions de sensibilisation et un e-learning sur le sujet, suivi par 28 000 collaborateurs. « Nous travaillons avec les médecins du travail, les infirmières, les assistantes sociales, les RH, les représentants du personnel… », indique Béatrice Prud’homme, directrice Santé sécurité et performance au travail du groupe. Au-delà des visites médicales et des contrôles spécifiques réalisés sur les postes de sécurité des sites industriels, « nous avons aussi en perspective de mettre en place des contrôles de dépistage d’alcool et de drogue, à l’entrée de ces sites », poursuit-elle. Des tests d’abord anonymes, « sur la base du volontariat pour que les gens puissent réaliser s’il y a un problème particulier, faire dans un premier temps de la prévention, avant des contrôles plus formalisés non anonymisés pour les gens aux postes de sécurité », détaille-t-elle.

« Quelle que soit la manière dont on veut aborder les choses, il y a des métiers et des postes sur lesquels on ne peut absolument pas attendre les effets d’une politique de prévention, qui sont toujours de moyen terme », note de son côté Nicolas Prisse, tout en mettant en garde à « ne pas faire reposer la politique sur du repérage, du dépistage et de la sanction ».

Pour François Auriol, intervenant en prévention des risques professionnels au sein de France Addictions, c’est pourtant trop souvent le cas. Basé en Occitanie, il affirme être régulièrement contacté par des organisations souhaitant mettre en place ce type de contrôles. Mais c’est, selon lui, une fausse bonne idée. « Cela tend les relations sociales. Qui va faire les contrôles ? Comment les lire ? Quelles sont les solutions ? Cela peut être très délétère dans l’entreprise et ce n’est pas aussi opérant qu’on voudrait le faire croire », assure-t-il. Avant cela, il existe selon lui « une batterie d’outils » qui peuvent s’avérer très efficaces, comme des techniques orales, le retrait d’un poste, l’orientation vers le médecin du travail… « On peut sanctionner sans passer par un test salivaire ou un éthylotest, cela vous évite de porter la casquette du gendarme », ajoute le formateur, qui insiste sur l’importance d’échanger avec le salarié sur les problèmes de sécurité, de qualité, d’image, de relationnel que sa conduite peut entraîner.

Ces espaces de discussion jouent un rôle essentiel. « Si vous avez des horaires de nuit, il faut aborder la qualité du sommeil et les stratégies pour tenir, permettre d’ouvrir la parole pour ne pas laisser chacun bidouiller dans son coin », ajoute François Auriol. L’intervenant de France Addictions se souvient également d’une entreprise d’une centaine de salariés sur le point de fermer. Dans cette période délicate, certains ont pu exprimer leurs difficultés et être pris en charge par la médecine du travail et orientés vers des centres de soins en addictologie. « C’est un collectif qui est resté uni jusqu’au bout et très attentif les uns aux autres », dit-il. Et c’est sans doute l’une des clés de la prévention…

Quelques chiffres…

Parmi la population active en emploi :

• 27 % des hommes et 23 % des femmes sont fumeurs.

• 19,8 % des hommes et 8 % des femmes ont un usage dangereux de l’alcool.

• 27,5 % des hommes et 11,5 % des femmes connaissent des épisodes d’alcoolisations ponctuelles élevées (au moins six verres en une seule occasion au moins une fois par mois).

• 8 % d’hommes et 4 % de femmes consomment du cannabis au moins une fois par semaine.

• 4,9 % des femmes et 2,8 % des hommes ont eu au moins une période de mésusage de médicaments psychotropes anxiolytiques (consommation en continu au-delà de la prescription autorisée de 12 semaines).

Source : Mildeca, chiffres publiés en 2021 à partir de la cohorte Constance, 200 000 adultes de 18 à 69 ans.

Auteur

  • Nathalie Tissot