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« Il y a toute une structure à inventer sur la qualité du travail dans les organisations »

Le point sur | publié le : 08.05.2023 | Natasha Laporte

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Interview : « Il y a toute une structure à inventer sur la qualité du travail dans les organisations »

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Née il y a dix ans, la notion de qualité de vie au travail (QVT) revient sur le devant de la scène, en particulier depuis la crise Covid. Pour autant, selon Jean-Yves Bonnefond, docteur en psychologie et chercheur au sein du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), c’est la question de la qualité même du travail – et la manière d’agir sur celle-ci – qui permettrait d’améliorer la santé et l’efficacité dans les entreprises.

Plutôt que sur la QVT, démarche souvent réduite aux mesures cosmétiques comme des séances de yoga proposées ou l’installation d’un baby-foot, vos recherches s’intéressent à la qualité du travail. Pourquoi ? Et comment distinguer ces différentes notions ?

La question de la QVT est arrivée dans le monde du travail et des rapports sociaux depuis une dizaine d’années, plus précisément dans le cadre de l’accord national interprofessionnel (Ani) du 19 juin 2013, après la prise de conscience qu’il y avait un problème considérable et ancien de santé au travail. Dans la première ligne de cet accord, on lit que la QVT vise d’abord le travail, les conditions de travail et les possibilités qu’elle ouvre ou non de faire du bon travail. Le cœur de la problématique est donc bien la question de faire du bon travail, avec une intention de passer de la prévention des risques psychosociaux à la promotion d’une qualité du travail. En 2019, un rapport de l’Agence nationale de l’amélioration des conditions de travail (Anact) dressait un bilan de la QVT, lequel établissait que, alors que l’intention initiale des signataires de l’Ani consistait à aider les acteurs de l’entreprise à agir sur la qualité du travail et les conditions de sa réalisation, le terme de QVT a trop souvent été associé à des actions périphériques au travail – sport, espaces de coworking, etc. Dans ces conditions, la QVT n’a pas réussi à produire les effets escomptés. En décembre 2020, un nouvel accord national interprofessionnel redéfinit donc la QVT en la renommant QVCT, le C étant pour conditions de travail. Il propose que « l’approche traditionnelle de la QVT soit revue pour intégrer la qualité de vie et les conditions de travail ». On voit bien qu’on tourne en rond… C’est pourquoi, dans le cadre de nos travaux au Cnam, nous définissons la qualité de la vie au travail d’abord par la qualité du travail. Dit simplement, si l’on ne peut pas bien travailler, on ne peut pas bien se porter. Le cœur du problème est là. Faire du bon travail, c’est pouvoir se sentir efficace, individuellement et collectivement. C’est pouvoir contribuer à son travail et se reconnaître dans son travail. Être fier de ce que l’on fait a des effets profonds sur la santé ainsi que sur les rapports sociaux. Or selon les données de la Dares de mai 2021, 54 % des actifs occupés estiment ne pas pouvoir faire du bon travail et devoir sacrifier la qualité.

Quels effets produit l’impossibilité de faire du bon travail ?

Dans les organisations, il y a un océan de problèmes quotidiens qui deviennent un poison lent. Par exemple, si un opérateur est confronté à une difficulté qui l’affecte régulièrement dans son activité, qu’il demande plusieurs fois que cela soit résolu sans que cela n’aboutisse, cela devient un gros problème organisationnel. De fait, lorsque vous ne pouvez pas correctement travailler, c’est épuisant. Cela fabrique une impuissance vécue. Quand vous passez votre temps à lutter contre les obstacles à l’efficacité, cela porte atteinte à la santé, mine les relations professionnelles et nourrit la défiance à l’égard des organisations et de ceux qui les dirigent voire envers la société. C’est un cocktail toxique. Et ce n’est pas soluble dans une QVT attentionnée qui, malgré les bonnes intentions qu’elle recèle, n’équipe pas le monde du travail ou ne le contraint pas suffisamment à se réorganiser autour de la qualité du travail. S’attaquer au fond du problème implique, au contraire, de réinventer les organisations et de construire les processus dans lesquels les personnels puissent dialoguer et peser dans les décisions qui les concernent.

C’est ce que vous cherchez à faire dans le cadre de vos expérimentations, telle celle qui a été menée à l’usine Renault de Flins. Qu’avez-vous mis en place ?

Il faut développer une institution du travail bien fait dans les organisations. Autrement dit, les processus, les instances et les fonctions orientés vers une coopération nouvelle. Nous parlons de coopération conflictuelle puisqu’on ne peut pas avoir les mêmes critères, les mêmes points de vue si l’on est dirigeant ou une fonction support ou « en bas de l’échelle » au contact, par exemple, du produit fini ou des clients. Il y a une conflictualité normale entre les différents critères de qualité. L’idée est de se servir de cette conflictualité pour coopérer. Alors la division du travail est en même temps problème et solution, non sans difficultés bien sûr. Ainsi, avec les organisations qui nous sollicitent, nous cherchons à réunir des professionnels de différentes catégories, en partant de l’initiative de ceux qui sont en première ligne, et nous équipons les collectifs à pouvoir discuter, ensemble, du travail bien fait ainsi que des obstacles à l’efficacité. Il y a des référents métiers dont la mission est, dans le cadre d’un temps dédié et avec des instruments formalisés, de recueillir et d’instruire les problèmes d’efficacité des uns et des autres au quotidien. Ensuite, il y a des comités de pilotage ainsi que des comités de suivi, avec les organisations syndicales, du traitement des sujets et de leurs avancées, pris en charge par les référents métiers dans la boucle de discussions avec la hiérarchie. En somme, avec les organisations qui le souhaitent, nous fabriquons des institutions du dialogue professionnel dans lesquelles les problèmes concrets de travail ordinaire ont droit et même devoir de cité. Ils sont discutés en coopération tant avec la hiérarchie de proximité qu’avec les fonctions de support et les instances dirigeantes, jusqu’au dialogue social avec les organisations syndicales. En fait, il y a toute une structure à inventer sur la qualité du travail dans les organisations. Nous avons fait cela à l’usine Renault de Flins, mais aussi à la Ville de Lille avec les agents de la propreté et dans une crèche, en Ehpad, de même que dans une institution d’éducation spécialisée près de Toulouse.

La qualité du travail peut donc être un élément fédérateur dans une entreprise…

Tout à fait, c’est une véritable clé de voûte qui remobilise les personnes, qui a des effets sur la qualité du produit ou du service et qui développe un sentiment profond de communauté autour du bien-faire. Les salariés ont besoin de cela. Les institutions du dialogue que nous mettons en place autour de la qualité du travail dans les organisations développent tant l’efficacité que le sens. Toutefois, cela ne se fait pas sans défis. Ainsi, comment prendre le temps nécessaire au dialogue si, pour ne pas créer de trous dans le planning, il n’y a pas de place prévue pour cela dans l’organisation de travail existante ? Cela pourrait en outre fabriquer des heures supplémentaires coûteuses. Ainsi, dans le cadre de l’une de nos expérimentations, en Ehpad, c’est le budget QVT qui compensait les heures dévolues au dialogue sur la qualité du travail… Bref, il faut s’y atteler, le tout accompagné d’une volonté institutionnelle.

Quelles dynamiques observez-vous actuellement en matière de qualité du travail ?

Du point de vue clinique, je vois comme tendance lourde cette inefficacité dans le traitement de problèmes de qualité du travail concrets et cette impuissance du quotidien. Par ailleurs, nous sommes aujourd’hui tous sommés d’être citoyens, responsables de notre planète abîmée à soigner – mais cela ne peut pas se faire en tant que simple exécutant. Ainsi, dans le cas de jeunes diplômés motivés qui voudraient œuvrer sur leur travail mais se retrouvent dans l’impossibilité d’agir, cela peut fabriquer la démission et le désengagement. Enfin, dans le contexte actuel de pénuries de main-d’œuvre, où le rapport de forces entre employeurs et candidats s’inverse, tout l’enjeu est de réussir à être attractif. Pour ce faire, les employeurs doivent pouvoir dire : vous travaillerez ici, ce sera exigeant sur le plan du professionnalisme et vous pourrez peser dans les décisions.

Auteur

  • Natasha Laporte