logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le grand entretien

« En entreprise, le repos devrait être négocié, comme le sont les salaires »

Le grand entretien | publié le : 08.05.2023 | Lucie Tanneau

Image

« En entreprise, le repos devrait être négocié, comme le sont les salaires »

Crédit photo

Nicolas Goarant s’est intéressé à la question du sommeil quand il était assistant parlementaire. Auteur du livre Le sommeil malmené (Éditions de l’Aube), il milite pour une gestion publique du sommeil. Pour lui, les entreprises devraient en faire un sujet de santé et de négociation puisqu’il influe sur la performance et la qualité de vie.

Vous vous dîtes sleep activist, en quoi cela consiste-t-il ?

Je milite pour que le sommeil soit préservé : ce n’est pas du temps perdu. Quand j’étais parlementaire, je me suis rendu compte que l’on débattait la journée, et parfois la nuit sur des sujets sérieux, mais que la question qui revenait le plus à la machine à café était : « Tu as bien dormi ? ». À l’époque, le think tank Terra Nova avait rédigé une note sur le sommeil et j’ai voulu moi aussi aller plus loin : le sujet rencontrait l’une de mes préoccupations personnelles alors que j’ai toujours fait attention à mon sommeil. Préserver le sommeil n’est pas une question personnelle, mais un enjeu de société.

Pour vous, le sommeil devrait faire l’objet de politiques publiques, pourquoi ?

Le sommeil englobe les sujets de prise de somnifères – en 2015, au moins 46 millions de boîtes de somnifères ont été vendues en France –, des écrans – alors que les enseignants disent que les ados sont moins concentrés en cours en raison des écrans qui perturbent leurs nuits –, ainsi que le sujet du travail… Contrairement à ce que l’on pense, on peut agir sur le sommeil, ce n’est pas une thématique de personne ou de couple : si l’on considère qu’il s’agit d’un phénomène de société, on peut réfléchir à des politiques pour le préserver. Comme tout le monde sait que « les antibiotiques, ce n’est pas automatique », on pourrait trouver des slogans pour limiter la consommation de somnifères, inciter à dormir huit heures par nuit ou ne pas prendre le volant en étant fatigué.

Dans les entreprises, la qualité de vie au travail est un enjeu de recrutement et de fidélisation. Le sommeil, qui ne fait pas partie du temps de travail, pourrait-il être intégré à cette problématique ?

Il y a deux temps : celui de l’entreprise, et l’avant ou l’après. Sur le temps de travail, il y a la question de la sieste, qui reste un moment stigmatisé, car dormir est considéré comme du temps perdu. Les entreprises installent des machines à café pour sociabiliser, des baby-foot pour se détendre, mais pas de vraies salles de repos. J’ai un ami qui travaille au marché de Rungis, les gens font des siestes dans leur voiture ! Certaines femmes enceintes racontent aussi qu’elles essaient de récupérer aux toilettes ! Il faut agir : on travaille mieux quand on est reposé.

Il y a aussi les temps en dehors de l’entreprise : pourquoi vient-on travailler à 9 heures, alors que l’augmentation des loyers a contribué à allonger les temps de trajet et donc réduit le temps de sommeil ? Pourquoi souhaite-t-on que le ménage soit fait quand on arrive au travail, obligeant les personnes qui le font à travailler la nuit, ce qui va à l’encontre de leur sommeil ? Une étude de l’Institut national du sommeil et de la vigilance, en 2014, indiquait que près de 20 % des salariés s’assoupissent ou s’endorment au travail…

Que peuvent faire les entreprises ?

Réfléchir à ces questions ! À l’Assemblée nationale, j’avais proposé que les CSE interrogent une fois par an les salariés sur la question du repos, comme ils le font sur l’égalité professionnelle, les congés, la rémunération… Les temps de travail sont étudiés, mais les questionnaires sur la santé au travail pourraient faire un focus sur le sommeil.

Le nombre de travailleurs de nuit a augmenté d’un million entre 1990 et 2013, atteignant 16,3 % de la population active, d’après le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de Santé publique France en 2019. Est-ce utile ? Selon une étude de la Nasa, une sieste d’une vingtaine de minutes pourrait accroître la concentration de 34 % et la productivité de 25 %. Ce moment de « relaxation profonde » renforce la performance et la vigilance et peut, à ce titre, limiter les risques d’accident du travail et de la route. La sieste intensifie la créativité, la concentration et la réactivité au travail, des qualités que valorise particulièrement la nouvelle économie. Les entreprises pourraient aussi créer des salles ou des cocons de sieste.

Comment les travailleurs peuvent-ils veiller à leur sommeil ?

Le sommeil est considéré comme le dernier bunker de la vie privée : quand on fait visiter son appartement, on est fier de sa cuisine, on montre son salon, mais rarement la chambre à coucher. Dans l’imaginaire, c’est tabou, c’est le lieu de l’intimité et de la sexualité. Cela imprègne le monde politique et l’entreprise. Mais les femmes enceintes ne vont pas s’allonger au milieu de l’open space pour se reposer ! Il faut être conscient que c’est très important. On ne vit pas dans un monde à la Big Brother, on ne va donc pas obliger chacun à éteindre la lumière à 22 heures, chacun fait ce qu’il veut, mais des messages de santé publique sur le sommeil, au même titre que ceux pour faire 10 000 pas par jour ou manger cinq fruits et légumes, pourraient être utiles.

Dans votre livre, vous relevez que le sommeil est une source d’inégalités de genre…

Je cite Marlène Schiappa, et ça ne m’arrive pas tous les jours ! Pour les jeunes pères, les jeunes mères, les femmes enceintes, il y a la vie familiale et la vie professionnelle à combiner. Je pense notamment aux trentenaires qui viennent d’avoir des enfants : ils ont des nuits hachées mais doivent assurer la même performance le lendemain au travail… Les femmes en particulier ont tendance à rogner sur leur temps de sommeil. C’est un marronnier de journaliste que d’en parler, dans les magazines féminins ou de santé, mais l’entreprise et le monde politique ferment les yeux. Ce serait peut-être aux partenaires sociaux de se saisir du sujet, car il est possible de faire des choses.

Sur le travail des femmes, ou plus exactement des métiers des femmes, vous connaissez la formule de la « double journée de travail » : se mobiliser pour l’installation de lieux de repos en entreprise est une mesure féministe. Dans certains secteurs, comme l’aérien ou les transports, le sujet est pris au sérieux, car le manque de sommeil est source d’accidents. Évidemment, il n’existe pas de test, comme on peut en pratiquer pour l’alcool, mais réfléchir aux sujets de manque de sommeil, de sa nécessité pour vivre en bonne santé, de l’apnée du sommeil – qui touche 3 % de la population (entre un et trois millions de Français, selon les études) – pourraient réduire le risque… Les responsables politiques et les entreprises peuvent agir : le sommeil n’est pas une question médicale, mais un sujet de société.

Parcours

Originaire de Rennes et fils d’un pneumologue de Saint-Malo, spécialiste de l’apnée du sommeil, Nicolas Goarant a été assistant parlementaire auprès de Guillaume Bachelay (PS) pendant cinq ans. Il ouvre ensuite une boutique consacrée au sommeil, à Paris, et sort un livre sur le sujet (Le sommeil malmené, collection Suspension, Éditions de l’Aube, septembre 2020). Il est désormais chargé de mission pour la métropole de Nancy.

Le chiffre

6 h 42 min

C’est la durée moyenne de sommeil en France en 2017, selon le baromètre de Santé publique France.

Elle était de 7 h 47 min en 2010 et de 8 h 5 min en 1986.

Auteur

  • Lucie Tanneau