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Les conditions de travail sont de plus en plus dures à supporter

Le point sur | publié le : 01.05.2023 | Gilmar Sequeira Martins

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Culture d’entreprise : Les conditions de travail sont de plus en plus dures à supporter

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L’intensification du travail expose à des risques professionnels accrus de nombreux salariés, dont un nombre croissant de femmes. Des solutions peuvent pourtant être mises en œuvre, dont un respect plus strict du Code du travail…

Les conditions de travail n’ont cessé de se dégrader depuis 30 ans en France… En 2019, soit bien avant que l’âge de départ à la retraite soit repoussé de 62 à 64 ans, près de quatre salariés sur dix (37 %), soit neuf millions de personnes, déclaraient ne pas être en mesure de soutenir leur activité jusqu’à la fin de leur carrière. Ces difficultés croissantes à pouvoir supporter les conditions de travail tiennent en premier lieu à un mouvement continu d’intensification du travail engagé depuis les années 1990, poussé par une rationalisation tous azimuts des processus de production. La chasse aux temps morts ou de moindre charge, largement favorisée par le lean management, a considérablement réduit les marges de manœuvre pour reprendre son souffle après l’effort. En outre, les contraintes auparavant limitées à certains secteurs se sont répandues à tous, alourdissant encore les contraintes tout en réduisant l’autonomie que pouvaient avoir les salariés.

 
Par ailleurs, un phénomène récent a été repéré parmi les accidents du travail : la tendance générale à la baisse masque une hausse, touchant les femmes. Selon Laurence Théry, directrice de l’Aract des Hauts-de-France, ce sont les représentations sociales des conditions de travail considérées « difficiles » qui en sont en partie la cause. « Dans les secteurs à prédominance masculine, comme l’industrie, explique-t-elle, la prévention des risques est travaillée depuis longtemps. Or les femmes sont essentiellement dans les secteurs de “relation à l’autre” : éducation, soin, nettoyage. Les conditions de travail y sont même réputées plus faciles que dans d’autres. Cette représentation élude en fait les contraintes réelles du travail. » De fait, les travaux des spécialistes de l’Anact montrent que les secteurs du soin ou de l’éducation sont aussi porteurs de pénibilité, différente, certes, de celle que peuvent subir les travailleurs de l’industrie, mais bien réelles.
 
Ces différences amènent à sous-estimer les risques alors qu’ils sont aussi élevés, déplore Laurence Théry. « Dans le secteur du nettoyage, les femmes sont exposées à des risques chimiques élevés car elles doivent utiliser des produits parfois très nocifs pour la santé. C’est moins un problème de documentation sur les risques que de construction sociale des problématiques, ou dans certains cas de rapports de force, qui empêche de faire avancer les questions de protection de la santé et d’amélioration des conditions de travail », poursuit-elle. Pour aboutir à une amélioration, elle recommande de mener une analyse genrée des conditions de travail et des situations d’exposition pour objectiver les risques et sortir des représentations sociales.

Reste que, pour l’heure, la sécurité est encore considérée comme l’ennemi de l’efficience dans la culture entrepreneuriale, relève Ralph Blindauer, un avocat lorrain spécialisé en droit du travail qui défend depuis 35 ans des familles dont un membre a été victime d’un accident mortel. « Je constate que la philosophie des employeurs sur la sécurité et l’organisation du travail n’a pas évolué, assure-t-il. L’organisation du travail est toujours pensée en termes d’efficience productive. Et la sécurité au travail est vue par les entreprises comme une perte de performance… » Au fil des dossiers, il a aussi repéré la part de responsabilité qui revient aux modes de fonctionnement. « Le phénomène le plus insidieux tient à l’organisation du travail, explique-t-il. Dans certaines entreprises qui se targuent de mettre la sécurité au centre de leurs préoccupations, une organisation du travail productiviste incite en fait à ne pas respecter les consignes de sécurité pour aller plus vite. Certaines organisations du travail mettent les salariés en compétition. Et il y a des groupes autonomes de production où se déroule une “chasse au maillon faible”, c’est-à-dire à celui qui pourrait empêcher l’équipe de toucher sa prime de productivité. Dans un tel système, pour aller plus vite, certaines règles de sécurité sont oubliées. »

Les solutions pour remédier à cette situation existent, pourtant… « Une façon de réduire les risques serait de limiter l’intérim à ce qui est strictement autorisé, c’est-à-dire le remplacement de salariés absents ou en cas de véritable surcroît d’activité », déclare ainsi l’avocat. Son expérience lui a appris que dans les entreprises ayant un turn-over élevé et qui recourent beaucoup à l’intérim, « la formation à la sécurité est toujours délaissée ». De même, lorsqu’il y a des travaux de maintenance, un plan de prévention et sécurité doit être mis en place. « Le plus souvent, cela se résume à remplir un formulaire, sans réelle évaluation des risques, sans visite commune des locaux, sans évaluation des mesures de prévention des risques, affirme-t-il. Pourquoi ? Tout simplement pour gagner du temps. »

Ralph Blindauer a aussi des propositions claires concernant le dispositif pénal. « La disposition qui exige la démonstration d’une faute qualifiée pour faire condamner un dirigeant doit disparaître, tranche-t-il. Il est très difficile de rassembler les preuves d’une violation délibérée d’une obligation de sécurité précise. Cette disposition permet en réalité au patronat d’échapper à ses responsabilités. »

Il propose aussi d’aligner l’analyse juridique des accidents du travail sur ceux de la circulation automobile… « Aujourd’hui, explique-t-il, lorsqu’une personne crée toutes les conditions pour qu’arrive un accident mortel, se pose de façon évidente la question d’une condamnation ferme. Or dans le monde du travail, quand, par exemple, des intérimaires sont contraints de travailler pendant des horaires déraisonnables, sur des machines dangereuses, sans être formés, sans aucune diffusion de consignes de sécurité, il est clair que toutes les conditions sont réunies pour qu’un accident survienne. Si cela aboutit à un accident mortel, il y aura de la prison avec sursis dans le meilleur des cas. Appliquer le même principe que celui en vigueur pour les accidents de la route fera passer le message que ceux du travail ne sont ni une fatalité ni le prix à payer pour préserver la compétitivité des entreprises. » S’il reconnaît que certains parquets ont évolué sur la question, « la maturation reste cependant trop lente »…

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins