Comment soutenir une réforme des retraites qui allonge la durée d’activité des salariés alors que « le travail est devenu pour un grand nombre d’entre eux insupportable et même, au sens propre du terme, insoutenable » ? Cette phrase, issue de la chronique de la sociologue Dominique Méda, parue dans Le Monde du 28 janvier 2023, renvoie à plusieurs problèmes, dont certains semblent spécifiques à la France. Certes, l’intensification du travail, engagée depuis les années 1990, comme l’indique notre « Point sur », a été poussée, un peu partout dans le monde, « par une rationalisation des processus de production ». Mais déjà, « en 2019, soit bien avant que l’âge de départ à la retraite soit reporté de 62 à 64 ans, près de quatre salariés sur dix, soit neuf millions de personnes, déclaraient ne pas être en mesure de soutenir leur activité jusqu’à la fin de leur carrière ». Pis, comme l’indique notre chroniqueur Martin Richer, la France, selon les résultats de la dernière enquête d’Eurofound, est le pays dans lequel la soutenabilité du travail est la moins bonne, derrière les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède, l’Espagne, la Belgique, l’Italie et le Royaume-Uni. Sa position s’est même dégradée ces dernières années. Que se passe-t-il chez nous ? Est-ce l’organisation du travail, qui fait peu de place à l’autonomie des collaborateurs, un management guère à l’écoute des salariés, des efforts insuffisants pour remédier à la pénibilité, un dialogue social défaillant, bref, une culture d’entreprise « à l’ancienne » qui pèchent ? Certains DRH s’inscriront évidemment en faux. Les initiatives existent. Mais il semble qu’elles soient loin d’être généralisées. Au même titre qu’il faut désormais verdir les activités économiques pour les rendre soutenables face au défi climatique, il faut aussi rompre avec le passé et rendre le travail soutenable. D’ailleurs, cela aurait dû être, comme le souligne Dominique Méda, « un préalable indispensable à toute réforme des retraites » – insoutenable en l’état pour beaucoup…