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L’entreprise comme une œuvre d’art ?

Chroniques | publié le : 24.04.2023 |

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L’entreprise comme une œuvre d’art ?

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Claudia Ferrazzi Fondatrice-présidente de Viarte ; Charles-Henri Besseyre des Horts Professeur émérite à HEC Paris

Les révolutions technologiques actuelles, comme celle du développement exponentiel de l’usage de ChatGPT1 et ce qui en découle en termes de mutations économiques, sociales et du monde du travail, nous invitent à nous armer des outils les plus performants pour évoluer dans un univers fait d’incertitudes et par ailleurs très compétitif. Un environnement qui a remis sur le devant de la scène des compétences particulièrement difficiles à développer : les soft skills2, et celles qu’on peut appeler les « mad skills », les compétences exceptionnelles qui permettent à un salarié de se distinguer, de sortir du cadre, de trouver des solutions inédites.

Il s’agit de compétences comportementales et motivationnelles, dans un pays où se creuse la fracture générationnelle dans la relation au travail, mais aussi de compétences cognitives, qui nous arment dans des environnements complexes, où coopération, esprit critique et créativité permettent de construire des réponses nouvelles. Sans oublier les compétences citoyennes, là où l’éthique et le leadership deviennent un moteur décisif de la création de valeur.

Si l’on veut « développer l’avantage comparatif de l’humain »3, comment faire, dans des organisations qui ont structuré leur gestion des ressources humaines sur une stricte séparation entre vie personnelle et vie professionnelle, alors que ces compétences sont précisément celles qui se développent à la frontière et qui empruntent énormément à ce que nous faisons en dehors du travail, à ce que nous lisons, à ce en quoi nous croyons ?

Pour répondre à ces questions, nous nous sommes penchés sur le processus créatif des artistes. Après en avoir constaté le rôle moteur dans le développement de compétences et dans notre attitude à l’égard des transformations, nous plaidons pour que la création artistique trouve une place centrale dans la vie des entreprises.

Pourquoi la création artistique ?

Parce qu’elle est, d’abord, une école de la complexité cognitive. Elle indique de manière très libre plusieurs voies possibles et permet d’imaginer des choses avant de pouvoir en envisager une réalisation concrète. Ensuite, parce que la création artistique permet de travailler sur la gestion de ses émotions et sur l’empathie4. Face à une œuvre originale, nous sommes à la fois uniques dans nos émotions mais nous faisons aussi partie d’un public, d’un collectif.

Enfin, la relation à la création artistique nourrit notre capacité d’anticipation, notre compréhension profonde des grandes tendances sociétales et la possibilité même de se préparer à des scénarios inconnus, tout seul ou en équipe.

Le contact avec des œuvres, avec des artistes et avec des processus créatifs demande du temps, de l’attention et de l’exigence. Dans notre expérience, lorsque l’entreprise accepte d’offrir cela à ses salariés, elle reçoit un retour démultiplié en valeur, en compétences, en satisfaction, en engagement.

Apprendre à raconter une histoire comme un(e) scénariste, à travailler sur les rythmes comme un(e) pianiste, à s’interroger sur l’intemporel comme un(e) metteur(se) en scène de théâtre, à gérer l’image comme un(e) artiste photographe, à marquer la rue comme un(e) street artist : ces expériences – réelles ! – démontrent si bien ce que nous promettait Paul Valéry dans ses cours de poétique : « Ce que nous appelons une œuvre d’art est le résultat d’une action dont le but fini est de développer chez quelqu’un des développements infinis. »

L’entreprise peut-elle être désormais vue comme une œuvre d’art ? C’est une question à laquelle les dirigeants, et les DRH en particulier, peuvent répondre positivement en intégrant la création artistique dans les parcours de développement des managers qui deviendront ainsi des acteurs de la transformation vers une culture et une organisation favorisant de plus en plus l’agentivité. C’est-à-dire la capacité qu’ont les individus à prendre des décisions et à agir de manière autonome. Elle est fondée sur une prise de conscience de soi et comprend des notions comme la responsabilité, l’autonomie, la liberté et le pouvoir5.

(1) Besseyre des Horts, CH : « ChatGPT : opportunité ou menace pour les DRH ? », Entreprise & Carrières, n° 1616, du 20 au 26 mars 2023, p. 22.

(2) Lamri, J., Barabel, M. & Meier, O. : Le défi des soft skills : comment les développer au XXIe siècle ?, Dunod, 2022.

(3) Julia de Funès et Nicolas Bouzou, La comédie (in)humaine. Comment les entreprises font fuir les meilleurs. Éditions J’ai lu, 2020.

(4) Besseyre des Horts, CH : « Authenticité et empathie : deux qualités cardinales des leaders pour l’entreprise de demain », Entreprise & Carrières, n° 1603, du 12 eu 18 décembre 2022, p. 22.

(5) Lamri, J. : « L’agentivité : le lien ultime entre soft skills et IA », article Linkedin, 13 avril 2023, (https://jeremy-lamri.medium.com/lagentivité-le-lien-ultime-entre-soft-skills-et-ia-da84bd8a1d9f)