logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le point sur

Organisation du travail : Le multi-emploi, une tendance qui se fait de plus en plus lourde

Le point sur | publié le : 17.04.2023 | Nathalie Tissot

Image

Organisation du travail : Le multi-emploi, une tendance qui se fait de plus en plus lourde

Crédit photo

Quelque 2,4 millions de personnes, en France, exercent plusieurs professions. Compléments de revenus, nouvelles perspectives de carrière, quelles que soient les raisons qui les poussent, ces pluri-actifs prennent parfois des risques pour leur santé. Aux employeurs de prendre en considération cette évolution, qui reflète également de nouvelles aspirations de la part des travailleurs.

Paul1 travaille de 7 heures à 14 heures dans une collectivité de la région parisienne. Mais quand il a dû entreprendre une procédure judiciaire, son salaire n’a pas suffi à couvrir les frais d’avocat. Depuis quatre ans, il enchaîne donc un autre emploi dans une entreprise privée, de 17 heures à 23 heures. Ses employeurs ne sont pas au courant de cette double vie. « Je suis comme les spationautes, je fais des micro-siestes et je me repose les week-ends – sauf quand j’ai des permanences », raconte-t-il en assurant ne pas être le seul dans cette situation. Fin 2019, l’Insee estimait à 2,4 millions le nombre de personnes exerçant, comme Paul, plusieurs professions, soit 8,2 % de l’emploi total. Parmi ces pluri-actifs, les trois quarts étaient exclusivement salariés et 90 % occupaient un emploi principal dans le secteur tertiaire. Les femmes étaient représentées à 63 %. Et ces chiffres ne tiennent pas compte du travail non déclaré, fréquent dans les métiers à domicile, par exemple, qui peuvent être une source d’appoint. Or dans une étude menée au printemps 2021 par Ipsos auprès de plus de 2 000 particuliers employeurs, un tiers reconnaissait pratiquer la sous-déclaration des heures de travail…

Le rythme infernal de Paul, bien au-delà des horaires réglementaires (lire encadré), illustre le côté obscur du multi-emploi, dont les adeptes sont de plus en plus présentés comme des « slasheurs », en référence au signe typographique. Ces actifs, qui multiplient les contrats, sont souvent décrits comme des multipotentiels en quête de nouvelles expériences. Mais parmi les 300 slasheurs interrogés lors de l’enquête 2022 du salon des micro-entreprises (SME) – le prochain se tiendra les 25 et 26 septembre 2023 au Palais des Congrès à Paris –, 67 % affirmaient chercher à augmenter leurs revenus et 29 % à tirer profit d’un hobby ou d’une passion. Et la motivation financière pourrait encore s’accroître dans le contexte inflationniste actuel… De fait, l’étude Workmonitor, publiée par Randstad en janvier 2023, révélait que 25 % des 35 000 travailleurs interrogés dans le monde prévoyaient de prendre un second emploi pour faire face au coût de la vie, dont 30 % parmi les 18-24 ans. Ces chiffres s’élèvent respectivement à 15 % et 27 % en France. « Avoir un second emploi est devenu une bouée de sauvetage pour certains travailleurs, mais aussi un motif d’inquiétude pour certains employeurs. Les travailleurs américains ont ainsi de plus en plus besoin d’un revenu supplémentaire, allant parfois jusqu’à cumuler deux emplois à temps plein sans que leurs employeurs ne le sachent », précise l’enquête.

Poser des limites

« Les chefs d’entreprise et les DRH sont tout sauf naïfs. Nous savons que nos collaborateurs ont des activités à côté, affirme Alain Bosetti, créateur du salon SME, qui emploie une quinzaine de salariés. Je sais que deux ou trois sont des free-lances ou des entrepreneurs en parallèle et nous en parlons ouvertement. Le point clef est le risque de surcharge quand on mène deux activités. Mais est-ce que l’employeur est responsable du fait qu’un de ses salariés présume de ses forces ? », questionne-t-il. Si la réglementation ne fixe pas de maximum de temps de travail pour un indépendant, elle pose des limites lorsqu’il s’agit de deux activités salariées. Mais encore faut-il que les employeurs soient au courant de la double casquette de leurs collaborateurs. « La grande difficulté pour le manager ou l’entreprise est de vérifier la limite des 48 heures. Tout ce travail supplémentaire, s’il est ponctuel, est OK. En revanche, s’il s’inscrit dans la durée, il génère des fatigues et donc des dysfonctionnements : absentéisme, maladies, accidents du travail… », rappelle Jean-François Foucard, secrétaire national de la CFE-CGC, en charge de l’emploi et de la formation. Il pointe aussi du doigt un manque de flexibilité au niveau des horaires du personnel concerné. Ces casse-têtes de planning se posent ainsi notamment dans le secteur de la santé, où le recours aux vacations est courant pour arrondir ses fins de mois.

« Quand vous avez des salariés qui font des gardes à l’extérieur, cela veut dire qu’il faut en faire venir d’autres de l’extérieur pour les remplacer. Cela devient kafkaïen et crée de la variabilité dans le fonctionnement des équipes », témoigne un DRH d’un établissement de santé d’Île-de-France, qui poursuit : « Il y a des équipements, des protocoles. Lorsque vous prenez un vacataire ou un intérimaire, il n’a pas la même efficacité qu’un collaborateur. Pour moi, c’est problématique et cela génère beaucoup de stress pour les cadres ». D’autant que ces situations sont dans certains cas illégales. La chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur a ainsi relevé des cumuls d’emplois irréguliers parmi le personnel de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM). Entre 2016 et 2018, jusqu’à 35 agents, infirmiers ou aides-soignants, ont travaillé en parallèle dans un établissement privé, parfois sur leurs RTT, congés annuels ou repos hebdomadaires. Mais au-delà de ces pratiques illégales, pour Sophie Marchandet, responsable RH de la fédération hospitalière de France, les aspirations des professionnels ont changé et doivent être mieux prises en compte. Son organisation réclame de faciliter l’exercice mixte en hôpital et en libéral. « Pouvoir offrir une pluralité de modalité d’exercice est pour nous un facteur d’attractivité indéniable », justifie-t-elle.

Cette évolution des attentes ne se limite pas au secteur médical. Selon Nicolas Combes, le président de l’ANDRH Franche-Comté, la pluri-activité préfigure les formes d’emploi de demain. « L’employeur doit avoir en tête que les salariés ont d’autres choses dans la vie qu’une entreprise, que peut-être ils travaillent ailleurs, qu’ils ont leur propre projet professionnel ou des engagements bénévoles qui correspondent davantage à leurs valeurs », souligne le directeur général adjoint de la Saline royale d’Arc-et-Senans (Doubs). Et pour préserver le collectif de travail, « faire exister un sentiment d’appartenance chez le salarié devrait être central dans la stratégie RH », ajoute-t-il.

Ce que dit la réglementation

Temps de repos quotidien : 11 heures consécutives.

Durée maximale de temps de travail hebdomadaire : 48 heures.

Temps de travail maximal par jour : 10 heures.

Parmi les exceptions à cette durée maximale du travail : les activités agricoles, les travaux d’ordre scientifique, littéraire ou artistique et les concours apportés aux œuvres d’intérêt général comme l’enseignement ou la bienfaisance. Ces limites de durée ne s’appliquent pas à une activité non salariée. Quel que soit son autre statut, le pluri-actif ne doit pas exercer une activité concurrente à celle d’un de ses employeurs. Enfin, il n’est pas obligatoire de prévenir son employeur de l’exercice d’une autre activité professionnelle, mais ce dernier peut demander une attestation écrite certifiant le respect des dispositions relatives à la durée du travail.

(1) Le prénom a été modifié.

Auteur

  • Nathalie Tissot