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Entretien : « Le multi-emploi peut à la fois conduire à l’épuisement et à l’enrichissement »

Le point sur | publié le : 17.04.2023 | N. T.

Wieteke Conen est économiste au sein de l’Institut de recherche et d’enseignement interdisciplinaire sur le travail (AIAS-HSI) de l’université d’Amsterdam. Elle a participé à un numéro de la revue Transfer : European Review of Labour and Research, consacré au cumul d’emploi en Europe (2021).

Comment le cumul d’emplois a-t-il évolué ces dernières années ?

D’après une enquête de l’Union européenne, environ 4 % de la population employée dans les États membres, soit 9 millions de personnes, cumulent plusieurs emplois, avec de nettes variations selon les pays : 7 % à 11 % en Islande, Norvège, Suède, Pays-Bas, Suisse ou Danemark, et environ 2 % ou moins en Roumanie, Italie, Hongrie, Slovaquie, Croatie ou Bulgarie. Dans plusieurs territoires, ce taux a augmenté depuis le début des années 2000, puis s’est stabilisé ces dernières années avec une baisse pendant la pandémie de Covid-19.

Étant donné le contexte inflationniste actuel, ce phénomène pourrait-il augmenter ?

Cela va probablement continuer à augmenter si l’on considère les nouvelles formes de travail, liées en partie à la digitalisation. Mais le contexte actuel d’inflation va sans doute agir comme un frein –  même si cela peut sembler contre-intuitif. On peut penser que les travailleurs seraient plus enclins à chercher un second emploi en période de difficultés économiques. Or cette logique ne tient pas compte du fait que les récessions ont tendance à s’accompagner d’une réduction significative de la demande de produits et du marché du travail, qui diminuent les opportunités d’emplois disponibles, y compris les emplois secondaires.

Quelles sont les conséquences sur les conditions de vie et de travail ?

Le multi-emploi peut à la fois conduire à l’épuisement et à l’enrichissement, cela dépend de sa forme et de son intégration dans la vie des travailleurs. Il peut permettre d’améliorer ses revenus, ses compétences, ses missions et de développer sa carrière. L’épuisement peut quant à lui naître de la pression. Les salariés à employeurs multiples travaillent généralement plus d’heures au total et à des moments souvent plus incompatibles avec une vie sociale. Cela peut conduire à dormir moins d’heures par nuit, à des difficultés pour équilibrer vie professionnelle et vie personnelle ou au burn-out. Il peut aussi y avoir un conflit de rôle. Les pluri-actifs doivent faire face à des exigences supplémentaires pour gérer leur place entre leurs différentes fonctions professionnelles. Ils sont plus susceptibles de rencontrer des difficultés d’intégration avec leurs collègues en raison du temps passé chez chaque employeur plus court ou à une moindre implication.

Les employeurs qui comptent des pluri-actifs dans leurs effectifs devraient-ils mener des actions spécifiques ?

En général, les politiques RH ne prennent en compte que le travail accompli par les employés dans leur propre organisation. Alors que les employeurs sont de plus en plus conscients du fait qu’une part de leurs collaborateurs peuvent avoir d’autres obligations non professionnelles, cela ne semble guère s’appliquer au cumul d’emplois. Il peut être dans l’intérêt à la fois de l’employeur et du salarié que la politique RH accorde une attention particulière à cette question. Hormis les risques, les pluri-actifs peuvent, par exemple, développer ailleurs des compétences déployables chez l’employeur principal et créer ainsi une synergie. En outre, le cumul d’emploi peut fonctionner comme un mécanisme de rétention. Par exemple, si les travailleurs veulent continuer à exercer leur profession mais que cette dernière ne peut pas être développée ou ne rapporte pas assez, le second emploi peut offrir un complément qui permet de garder le métier initial. Les organisations ou les services RH pourraient jouer un rôle actif dans la recherche de travail supplémentaire, une sorte de fonction de « courtage ».

Auteur

  • N. T.